« Le Sénégalais : Carte d’identité d’un homoreligious… »


Le peuple sénégalais est foncièrement religieux, du moins idéologiquement (croyance à l’égard de réalités invisibles). Pour Maurice Delafosse, la religiosité fait des noirs une communauté sacrée. Par conséquent, il trouve impossible d’en détacher un individu sans lui causer un traumatisme psychique. L’influence de la religion sur la formation des mentalités est perceptible dans la vie de tous les jours, dans les aspects du quotidien. Le comportement du Sénégalais est incompréhensible en dehors de la religion. Cette situation est reconnue par tous les auteurs qui ont eu à étudier le Sénégal. Un observateur extérieur bien averti explique que ce grand attachement des Sénégalais au religieux s’est constitué durant l’histoire. Moustapha TAMBA :
En effet, onzes siècles d’islam, six siècles de christianisme et la pérennité de l’animisme ont créé une forte culture religieuse. C’est ainsi que la religion, en général, a pénétré tous les domaines de la vie. Ignorer cette dimension religieuse aboutirait à donner une vision limitée de la personnalité sénégalaise.
Alors, ce caractère prêt-à-croire du Sénégalais s’exprime via les confréries. De ce fait, l’Islam confrérique demeure omniprésent dans le paysage social sénégalais, comme attesté par tous ceux qui ont étudié l’Islam au Sénégal, entre autres Paul MARTY, Vincent MONTEIL, Jean COPANS, Christian COULON, Abdoulaye BARA DIOP, Mamadou DIOUF, Moustapha DIÈYE, Moustapha TAMBA qui ont décrit la société confrérique comme une réalité sociale et politique non négligeable dans l’analyse de la société sénégalaise. Ainsi la société confrérique peut-elle constituer un groupe de pression sur les pouvoirs politiques et économiques.
Toutefois, importe-t-il de révéler que la pratique religieuse ayant trait aux confréries demeure plus vivante au Sénégal. La religion mobilise aussi bien les jeunes que les adultes, s’observe partout dans la société. Elle n’est pas que confinée dans les lieux de culte accessibles qu’aux initiés. Elle n’est pas une simple affaire de secte. Elle est visible, audible dans les actes et langages quotidiens du Sénégalais, son comportement ambiant et habillement. Elle est dans la rue, les lieux de travail, d’études, les grand-places. Elle commence même à pénétrer dans les boîtes de nuit. Partout où les Sénégalais se trouvent, ils y transposent leur religiosité, qu’il s’agisse de lieux profanes ou sacrés. D’après Moustapha Tamba,
“le terme Dieu envahit toute la pensée de la société et influence tout le quotidien du sénégalais : Dieu est grand, s’il plaît à Dieu, avec l’aide de Dieu, avec la volonté de Dieu, Dieu fait bien les choses, Dieu merci.
Autant d’expressions qui reviennent dans les discours des Sénégalais allant des musulmans aux autres confessions. À toute situation tragique, le sénégalais répond par « yalla baaxna », « Dieu est plein de largesses ». Cette attitude rend parfois le sénégalais un peu fataliste du reste, même sur des choses qui dépendent de sa propre volonté ou bien de la volonté des autres avec qui il est en relation.
Les grands pèlerinages de l’Islam sont des plus populaires et convoités par les Sénégalais. On y observe une ferveur sans précédent avec les populations des confréries respectives qui se mobilisent. Les médias ne sont pas en reste dans la diffusion des contenus issus de ces évènements. Ceci prouve le degré de popularité de ces évènements et leur importance auprès des Sénégalais : le Gammu de Tivaouane, le Magal de Touba, l’Appel des laayeen, le Gammu des Qadrs, le Daaka pour les tidjaan de Médina Gounass, sans compter les nombreuses soirées religieuses, à travers les daairas, etc.
Ces croyances sont loin d’être en voie d’extinction, malgré toutes les crises qui secouent les confréries.
Dans le cadre des manifestations confrériques, les fidèles, par milliers, se pressent dans les mosquées et aux portes des résidences de leurs guides religieux, avec des déferlantes ferventes dans les rues et les ruelles des villes saintes.
Les manifestations sont le lieu de rencontre des responsables politiques, hauts fonctionnaires, hommes d’affaires, de médias ; en un mot de toute une élite moderne, pour rendre hommage aux marabouts et porter des dons somptueux.
$D’ailleurs, cette tendance de la classe dirigeante (politique et économique) à se montrer sympathique à l’égard de la classe maraboutique n’est pas fortuite. D’un côté, les politiques y cherchent soutiens, de l’autre les hommes d’affaires y cherchent prières, protection. Cela explique le revirement du Président Macky Sall dans sa conception des guides religieux qu’il traitait de citoyens ordinaires. Des propos qui lui ont valu la colère de l’opinion publique et de la classe maraboutique. Aujourd’hui, il essaie de réparer le préjudice et entreprend des politiques publiques allant dans le sens d’accompagner les familles religieuses, dans le cadre du projet de modernisation des villes religieuses. Ce qui lui vaut le soutien de beaucoup de familles maraboutiques.
Idrissa Seck abonde dans le même sens, en manifestant publiquement son allégeance murid, au risque de créer un conflit intercommunautaire entre Murids et Tidjaans au Sénégal. Cela étant, des Tidjaan, vexés par le changement de confrérie d’Idrissa Seck, l’ont taxé de renégat, en ce sens que selon la doctrine Tidjaan, il est interdit, après avoir pris le wird Tidjane, de changer de confrérie au risque de sanctions de la part des maîtres de la voie. Reste à prouver si Idrissa Seck avait pris le wird Tidjane avant son allégeance au mouridisme. Cette colère de certains Tidjanes, surtout de Tivaouane, était aggravée par la manifestation publique de son allégeance au mouridisme.
Lors de la dernière élection présidentielle (Février 2019), il a bénéficié d’un soutien de taille de la communauté mouride, dont beaucoup, bien que profanes en politique, sont descendus sur le terrain pour vendre sa candidature. Ses résultats à cette joute semblent liés à son allégeance. À Diourbel, il glane 45 051 voix contre 22 026 pour Macky Sall, le dépassant de 18 475 voix.
Cependant, il faut relativiser les résultats de Tivaouane où Idrissa Seck vient en deuxième position, avec 55 966 voix contre 79 757 pour Macky Sall. Ce résultat est paradoxal et révélateur, au regard de la consigne de vote de grands marabouts de Tivaouane, en l’occurrence Pape Malick Sy, Mbaye Sy Mansour (Calife actuel), entre autres, en faveur de Macky Sall. Tivaouane est une ville laïque, pas seulement habitée par des Tidjanes, mais aussi d’adeptes entretenant des relations moins dociles avec les guides religieux.
Le candidat du Pur (Parti de l’unité et du rassemblement), parti parrainé par Moustapha SY, responsable moral des Moustarchidines et petit-fils de Maodo, vient en troisième position à Tivaouane, avec 14 098 voix. Ces résultats s’expliquent par une présence importante de Moustarchidines à Tivaouane. Ousmane SONKO vient en quatrième position avec 9 836 voix. Madické NIANG suit avec 2054 voix. Ceci étant, l’électorat éclaté de Tivaouane à cette présidentielle (Février 2019) est une preuve évidente aussi bien du caractère spécial de Tivaouane, comme une capitale religieuse d’une ville moderne que de la spécificité de la branche Tidjane comme confrérie caractérisée par des taalibe plus ou moins indépendants vis-à-vis de la tutelle religieuse.
En un mot, cela confirme la place de la religion dans la vie du Sénégalais, tout comme la permanence des confréries dont l’emprise est toujours prégnante. L’Africain est-il croyant né ou a-t-il appris à croire ? Existe-t-il dans le gène africain des éléments le prédisposant à la religion et/ou aux croyances mystiques ? D’où vient la religiosité de l’Africain ? Qu’est-ce que l’Islam dit noir ? Est-ce le produit de la nature africaine ou de ses expériences vécues ?
* Par Docteur Cheikh Tidiane MBAYE
Spécialiste en sociologie des religions
Enseignant-vacataire UVS UCAB
Responsable pédagogique CLUB RMS
Président Think Tank GARAB
DG Cabinet L’œil du sociologue