QUELQUES PISTES DE RÉFLEXION POUR LA RÉFORME DU CODE DU TRAVAIL
Les Inspecteurs du travail ont ouvert le débat, lors de la tenue de l’édition 2022 des « Journées du monde du travail », sur l’opportunité ou non de réformer le Code du travail actuel, lequel date de décembre 1997, soit de 25 ans. Ils sont favorables à une réforme de celui-ci eu égard des nombreuses mutations sociales et économiques enregistrées depuis. De plus, la récente crise pandémique de la Covid-19, avec son cortège d’aménagements apportés dans l’application de certaines dispositions légales notamment celles relatives à la gestion des conditions et des milieux de travail, semble rendre évidente une telle éventualité.
Dans la presse du jour, un acteur important du monde du travail, monsieur Cheikh Diop, Secrétaire Général de la CNTS/FC, verse une importante contribution au débat sans oublier de mettre sur la table des propositions concrètes, advenant la décision de réformer le Code du Travail. Il se montre ouvert à une réforme du Code du Travail, mais à condition que les travailleurs n’en soient pas les agneaux du sacrifice au nom de la flexibilité. Il s’est montré clair en fixant les limites à ne pas dépasser lorsqu’il écrit : « (…) la remise en cause du code du travail actuel pour sa flexibilité ne peut être décrétée et conçue en dehors des paradigmes du travail décent, le cas échéant, elle se heurterait à l’action syndicale. »
Tout semble indiquer que nombreux sont celles et ceux qui croient qu’une réforme du Code du travail s’avère nécessaire, voire incontournable. Cela ne constitue pas une surprise, car le diagnostic de la situation est quasi-unanime : l’évolution technologique, la mondialisation de l’économie, les progrès sociaux, la crise de la Covid-19 et bien d’autres facteurs ont entrainé des transformations, profondes et durables, dans les modes d’organisation des entreprises et ont fini d’installer de nouvelles formes de travail.
Sans être exhaustive, cette présente réflexion vise, advenant la décision de réformer le Code du travail, à alimenter la discussion sur les choix de certains aspects liés à la démarche méthodologique à adopter et au contenu des réformes à apporter.
Nécessité d’une réforme inclusive
Les réformes antérieures du Code du travail ont toujours été une affaire de spécialistes du droit du travail et des partenaires sociaux. À cet égard, il semble utile de rappeler que la réforme du Code du travail d’un pays ne se limite pas seulement à toiletter, à réactualiser, voire à adapter certaines dispositions de cette loi. Elle va au-delà en intégrant des considérations et des préoccupations liées aux impacts que pourraient avoir les changements envisagés ou apportés. En effet, ces changements (voulus et/ou non voulus) pourraient avoir des conséquences (positives ou négatives), par exemple, sur le niveau d’emploi dans le pays, sur la prise en compte des aspirations sociétales (équité salariale hommes – femmes, conciliation travail – famille, etc.) et sur le fonctionnement des entreprises (productivité, compétitivité, etc.).
Selon les chiffres de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), l’âge moyen de la population sénégalaise est de 19 ans et plus de 54% des sénégalais ont un âge compris entre 15 et 64 ans. Ce qui met en exergue la jeunesse et la vitalité de notre population ainsi que l’importance de celle considérée comme étant active. Dans ces conditions, toute réforme du Code du travail devrait trouver les combinaisons les plus efficaces et les moins coûteuses (socialement) pour favoriser le maintien à l’emploi des travailleurs. Ce qui requiert, certes, une certaine flexibilité pour les entreprises, mais une flexibilité limitée et balisée. Ainsi, par exemple, les employeurs pourraient disposer plus de facilités pour effectuer une réorganisation intérieure et/ou pour recourir à des contrats à durée déterminée ou à temps partiel afin de s’adapter à leur environnement concurrentiel. Toutefois, ces possibilités devront être encadrées de manière à mettre les travailleurs à l’abri d’éventuels abus susceptibles de les envoyer au chômage ou d’occasionner la perte de certains de leurs acquis. Ces compromis à trouver s’insèrent dans un concept plus global appelé « flexicurité ».
Au sens de l’Organisation internationale du travail (OIT), la notion de flexicurité renvoie, dans le cadre de son Agenda du travail décent, à une combinaison de flexibilité et de protection sociale. Cette dernière ne devrait pas se limiter uniquement à la sécurité de l’emploi et à celle du revenu, mais s’étend aussi à la stabilité de l’emploi, laquelle permet de se protéger contre les congédiements abusifs. Quelle sera le niveau de flexicurité optimal à prendre en compte dans la rédaction d’un nouveau Code du travail ? Seules des études préalables (quantitatives et qualitatives), décrivant la situation actuelle du monde du travail et cernant les aspirations de ses principaux acteurs ainsi qu’une évaluation objective de l’application des dispositions de flexibilité introduites dans le Code du travail de 1997, pourraient permettre aux autorités politiques compétentes de procéder aux arbitrages nécessaires pour fixer ce niveau.
Un second exemple, qui plaide pour une démarche large et inclusive qui va aller au-delà des spécialistes du droit du travail et des partenaires sociaux, pourrait être celui de l’intégration et du renforcement de mesures relatives à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Aujourd’hui, rien ne justifie l’existence, à compétences égales, les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes au sein des entreprises ou l’absence des femmes, en nombre suffisant, à la tête des entreprises ou leur présence dans les organes de gouvernance de celles-ci. La répression et la prévention des actes de harcèlements (psychologiques, physiques et sexuels) à l’encontre des femmes au travail devraient être, également, au menu de toute éventuelle réforme du Code du travail. Autant de choses qui militeraient pour l’implication des mouvements de défense des intérêts de la femme et ceux de la société civile dans toute démarche de réforme du Code du travail.
Tenir compte des nouveaux enjeux
Légiférer, c’est régler des problèmes actuels et anticiper sur ceux qui pourraient se poser dans l’avenir. Sous cette perspective, il n’est ni souhaitable ni possible de réformer le Code du travail sans tenir compte des enjeux sociétaux actuels et futurs. Au nombre de ces enjeux, figure celui du passage prochain de notre pays au statut de producteur d’hydrocarbures.
La crise pandémique de la Covid-19 a mis à nu la fragilité de plusieurs segments de l’économie nationale. Certains ont perdu de nombreux emplois et tout semble indiquer que la totalité de ces emplois perdus ne sera pas régénérée. De même, plusieurs nouveaux emplois, inconnus ou peu pourvus par le passé, apparaissent et semblent prendre de l’essor. C’est le cas des emplois qui se dessinent dans la perspective du démarrage de la production de nos hydrocarbures. D’une manière générale, la réforme du Code du travail devrait aider à faciliter la transition des travailleurs des secteurs d’activités identifiés comme étant les moins attractifs, les moins productifs, voire les moins profitables (en termes de niveau de revenus et de garanties) vers celui de l’exploitation, du stockage et de la commercialisation des hydrocarbures.
L’ère d’exploitation de nos ressources d’hydrocarbures sera source de nombreuses mutations notamment aux plans de l’économie et du marché du travail : des emplois vont disparaître et d’autres, plus qualifiés, vont apparaître. S’il est vrai que les compagnies pétrolières créent peu d’emplois directs compte tenu de l’importance des moyens techniques et technologiques qu’elles mobilisent ainsi que le niveau élevé de la qualification de leurs travailleurs, en revanche, elles favorisent énormément la création d’emplois indirects. En effet, pour fonctionner de manière optimale, les compagnies pétrolières ont besoin d’une pléiade de sous-traitants (industriels, services, logistiques, etc.). Il paraît donc important et utile de faire l’inventaire exhaustif de tous les types d’emplois qui pourraient résulter de la sous-traitance pétrolière afin de concevoir et de mettre en place des programmes de développement des compétences adaptés et efficaces pour assurer cette transition vers une économie pétrolière. Cette situation offre l’opportunité de réformer et d’adapter, par exemple, certaines dispositions du Code du travail relatives notamment aux Titres IV (apprentissage et formation professionnelle) et V (Tâcheronnat) en relation avec les autres Départements ministériels qui ont en charge l’emploi, le développement des compétences, le marché du travail, etc.
Il sera aussi impératif de faire de la négociation collective au sein des entreprises la pierre angulaire de la régulation des relations professionnelles et, subséquemment, une source de production du droit social. Ce qui reviendrait à remettre en cause, de façon profonde, le modèle de négociation collective en vigueur au Sénégal, lequel est marqué par une trop grande centralisation des négociations (parfois loin des entreprises et de leurs réalités) avec une implication trop importante des centrales syndicales et des autorités en charge du Travail. En effet, favoriser la négociation collective au sein des entreprises reviendrait notamment à permettre aux principaux acteurs concernés d’initier des démarches de proximité, de se sentir responsables de leur propre sort et de favoriser l’émergence de compromis qui tiennent compte des réalités internes et du contexte concurrentiel dans lesquels ils vivent. Les entreprises et leurs travailleurs savent mieux que quiconque ce qu’ils veulent et ce qui est plus adapté à leurs réalités, lesquelles diffèrent d’une entreprise à une autre. Il suffirait de développer et/ou renforcer leurs capacités et de leur offrir un encadrement minimal pour que la négociation collective au sein des entreprises soit une réalité.
En conclusion, le Sénégal ne pourrait pas se permettre de faire l’économie d’une réforme de son Code du travail. Advenant cette décision, la démarche à adopter et le choix des thèmes sur lesquels portera la réforme mériteraient beaucoup d’attention, une méthodologie rigoureuse et une implication de tous les acteurs concernés ou susceptibles d’être concernés. Ce sera le prix à payer pour éviter une énième réforme de plus.
Cheikh Faye, Ph.D est Professeur agrégé
UQAC – Canada.