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LA FRANCE N’EN A PAS ENCORE FINI AVEC LE MALI

La France ne semble toujours pas avoir digéré son éviction du Mali. Du moins, c’est ce qui transparaît du discours à charge contre Wagner et l’État malien du général Laurent Michon, commandant de la force française de Barkhane, lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 21 juillet 2022 à Ouagadougou. Il a accusé l’État malien de faire une fuite en avant et le groupe paramilitaire russe – dont la présence n’a toujours pas été officiellement confirmée par les autorités maliennes – de perpétrer des massacres en plus d’user de méthodes de prédateurs et de dealers de drogue, etc. Cette intervention très peu anodine, qui frise l’acrimonie sinon le ridicule, devrait pousser à s’interroger sur ses intentions. D’autant qu’un militaire français n’a aucune légitimité pour juger l’État malien avec lequel son pays a rompu ses relations diplomatiques.

Dans son message, le général Michon semble s’étonner qu’il faille désormais payer (pour le Mali). Il étaie ses propos en avançant que certaines dispositions du code minier du pays ont été modifiées pour permettre l’exploitation de 3 mines d’or confiée au groupe Wagner. Ce qui prouve qu’il – et à travers lui son pays – surveille encore de très près cette ancienne colonie. Mais, si l’opportunité m’avait été offerte de lui poser une question lors de cette conférence de presse, je lui aurais juste demandé où il avait (a) vu un État dépenser des centaines de millions pour acheter du matériel militaire et entretenir ses soldats – qui flirtent en permanence avec la mort -, pour les beaux yeux d’un autre pays sans aucune contrepartie, a fortiori d’un groupe paramilitaire privé. Il ne doit pas y en avoir beaucoup, à supposer que cela existe.

Pourtant, il lui eût juste fallu jeter un coup d’œil sur les propos cyniques de Christophe Barbier – pour qui la guerre est une activité lucrative – pour savoir qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Surtout du côté de certaines puissances occidentales, qui ont l’habitude de mener des guerres aux visées géostratégiques et géoéconomiques inavouées tout en les affublant faussement d’un manteau humanitaire : « Nous ferons payer la facture à ceux pour qui nous faisons un travail difficile, douloureux, qu’est l’action militaire. D’abord nos alliés (…) puis les pays que nous libérons. La Libye, la Côte d’Ivoire, ce sont des pays qui ont des ressources. Ces pays nous rembourseront en avantages, notamment en matières premières, en énergie par exemple. Ils pourront ensuite nous acheter des matériels militaires (…) Nous allons, sans être, cyniques, améliorer nos matériels, améliorer nos méthodes. Avec l’expérience retirée de ces conflits, ça nous permettra d’être encore plus compétitifs sur ce marché (…) qu’est la vente d’armes[1].»

Donc, le fait d’aider un autre pays se trouvant dans une situation difficile et instable, moyennant ressources financières ou minières, n’est pas quelque chose de nouveau, quand bien même la contrepartie pourrait être sujette à controverse. Dans le cas du Mali, l’exploitation réelle ou supposée de trois mines par le groupe Wagner peut être compréhensible à bien des égards. L’embargo inique et illégal que Paris a fait subir à Bamako par laquais – CEDEAO – interposé pour asphyxier le pays économiquement, les effets pervers des politiques menées par les institutions financières internationales, la concurrence déloyale et injuste des multinationales, la crise économique que traverse le monde depuis un certain temps, le goulot d’étranglement que constitue la dette odieuse, peuvent faire que le Mali manque de ressources financières nécessaires pour rétribuer ceux qui l’aident à combattre le terrorisme sur son territoire. De plus, en tant qu’État souverain, il n’a pas besoin de rendre compte à qui que ce soit. Dès lors, il peut disposer de ses ressources comme bon lui semble, ce que feint d’ignorer le général Michon. Peut-être est-ce parce qu’un pays autre que le tien en tire bénéfice que cette situation l’indigne et lui paraît anormale. Sa posture est d’autant moins étonnante que l’ancienne métropole avait (a) l’habitude de faire la pluie et le beau dans nombre de ses ex-colonies. Donc, en voir une, très riche en ressources naturelles de toutes sortes, lui échapper ne peut que lui faire mal.

Cette attitude, pour bizarre qu’elle paraisse, ne surprend guère qui comprend le triptyque de la stratégie néocoloniale française, qui apparaît très clairement dans les lignes de Pierre Biarnés : « Consolider le pouvoir des dirigeants qui jouent loyalement le jeu de l’amitié franco-africaine ; faire sentir le mors à ceux qui regardent un peu trop dans d’autres directions ; contrer en même temps les visées des puissances concurrentes dès qu’elles sont jugées menaçantes[2]». Par conséquent, les raisons de la charge de Paris contre Wagner et le Mali, même si elle peut renfermer quelques vérités, deviennent plus lisibles. Le groupe paramilitaire – et via lui la Russie -, représente une puissance concurrente, jugée menaçante, qu’il faut contrer par tous les moyens, y compris par la propagande et la calomnie. Quant au Mali, l’insoumis, il faut tout faire pour qu’il ne s’éloigne pas de la sphère d’influence française en regardant dans d’autres directions. Car c’est un crime de lèse-majesté pour Paris que de voir une ancienne colonie vouloir se soustraire de son étreinte. Ce qui la pousse à tout mettre en œuvre pour lui barrer la route. Son aventure coloniale, émaillée de tant de guerres sanglantes dans des pays qui ont voulu échapper à sa mainmise – Indochine, Algérie, Cameroun, Madagascar -, et son comportement néocolonial, marqué par plusieurs interventions dans nombre de ses anciennes colonies, depuis la déclaration des indépendances officielles dans les années 60, peuvent le prouver aux plus sceptiques.

Est-ce à dire pour autant que le groupe Wagner est exempt de reproches. Tant s’en faut. Il est loin d’être composé que d’enfants de chœur. Mais le Mali peut faire appel à d’autres partenaires, qui il pense capables de l’aider à trouver une solution à ses problèmes de sécurité ; surtout s’il juge que l’expérience française n’a pas donné les résultats escomptés pendant une dizaine d’années.

Cet entêtement de la France, qui refuse de tourner certaines pages de son histoire fait que le Mali devra faire preuve d’endurance et de vigilance dans les jours, mois et années à venir. Car la trajectoire qu’il est en train de suivre et les épreuves qui l’accompagnent ont de fortes ressemblances avec ce qui s’est passé en République centrafricaine lorsqu’elle a adopté la même posture. Celle-ci a connu une forte recrudescence des attaques des groupes rebelles, l’affaire Quignolot – du nom d’un ancien militaire de l’armée française arrêté en possession de nombreuses armes dans le pays -, et l’arrestation à l’aéroport de Bangui de l’équipe de protection rapprochée du général Marchenoir, chef d’état-major de la Force de la Minusca – soupçonnée de tentative de coup d’État.

Le Mali n’est guère mieux loti. Il y a une forte recrudescence des attaques des rebelles, très bien armés et plus que jamais déterminés à porter un coup fatal au pouvoir en place. La récente attaque de la base de Kati en est la dernière preuve sans oublier l’arrestation des 49 militaires ivoiriens à l’aéroport de Bamako. Ces situations quasi semblables, qui se sont produites après que ces deux ex-colonies françaises ont fait appel à une puissance autre que l’ancienne métropole, les mauvais souvenirs encore frais dans les mémoires des nombreuses interventions traumatisantes des militaires français sur le continent et leurs coups tordus depuis plusieurs décennies ne peuvent qu’alimenter les suspicions et pousser à braquer les regards du côté de la France, bien que celle-ci ne puisse pas être formellement  accusée en l’absence de preuves incontestables.

Mais le Mali devra tout de même rester vigilant parce que l’armée française a juste délocalisé ses troupes au Niger. Dès lors, elle peut conserver toute sa capacité de nuisance à quelques encablures de son territoire. Du reste, elle semble être la tête de pont de l’Occident dans le Sahel, qui représente un enjeu géostratégique et économique important convoité par nombre de pays. Le Sahel constitue aussi une zone stratégique pour lutter contre l’émigration illégale vers l’Europe. Ce qui fait que le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, a annoncé le jeudi 30 juin dernier qu’une intervention au Mali de l’OTAN n’était pas à exclure « si nécessaire », à la suite de l’inscription du terrorisme et de l’émigration comme « menaces hybrides » dans le nouveau concept stratégique. Même l’Allemagne, qui était connue pour sa discrétion et son respect du principe de non-ingérence dans les affaires des autres États a haussé le ton pour demander la libération immédiate des 49 soldats ivoiriens, dont la situation et le comportement sont pour le moins suspicieux.

En dernier ressort, il ne s’agit pas de disculper Wagner et d’inculper la France, mais un coup d’œil dans le rétroviseur de l’histoire est nécessaire pour mieux faire face au présent et mieux appréhender le futur. En outre, bien qu’il puisse être compréhensible qu’un État fasse appel à un autre pour qu’il l’aide à surmonter une mauvaise passe, cette assistance ne doit être que provisoire. Car un pays ne doit compter que sur ses fils pour se défendre s’il veut avoir une vraie sécurité. Ce qui est encore plus valable pour les pays africains, qui ont une histoire particulière avec l’impérialisme occidental. Mamadou Dia, avec sa grande expérience, l’avait bien senti : « Soyons persuadés, une fois pour toutes, qu’une Afrique africaine, libre et indépendante, intégrée politiquement, économiquement et socialement ne se construira qu’avec des bras et des cerveaux africains, des institutions africaines et des structures authentiquement africaines, des entreprises africaines publiques et privée, œuvrant[3] en totale synergie, nourries à la source  d’une même culture africaine citoyenne, fondée sur des valeurs d’éthique et de solidarité africaines. Cela exige de la part de nos faiseurs de printemps une révolution culturelle radicale qui elle-même suppose une révolution épistémologique qui répudie les paradigmes, les logiques et les modèles de la pensée unique de l’Occident.» Ce qui se passe au Sahel doit interpeller tout Africain. D’autant que le monde se trouve à un grand tournant. La guerre en Ukraine n’a fait que rendre encore plus visible l’interrègne gramscien dans lequel il se trouve. L’ancien mode unipolaire, dominé par l’Occident, est en train de disparaître alors qu’un nouveau monde unipolaire, mené par de grandes puissances démographique, militaire et économique est en train de se construire. D’où le renforcement des grands blocs : OTAN, UE, BRICS, OCS…

Devant cette situation, nos États nains, pour reprendre les propos de Cheikh Anta Diop[4], ne doivent pas rester condamnés à ne demeurer que des zones d’influence de puissances étrangères. Les tournées africaines simultanées de Sergei Lavrov et Emmanuel Macron, chacun cherchant à qui mieux mieux à rallier un nombre de pays africains de son côté, doivent pousser à nous interroger davantage. Les pays africains ne doivent plus être à la remorque d’aucune puissance extérieure. Mais pour que cela se réalise, il faut bloc fort, qui permettra de mieux faire face aux prédateurs, qui ne sont jamais loin de nos portes. L’auteur de Nations nègres et Cultures avait trop tôt vu la nécessité d’un État fédéral africain. Il avait surtout bien compris le jeu de l’impérialisme, qui profite de l’instabilité des pays anciennement colonisés pour mieux avancer ses pions et dérouler sa stratégie comme c’est le cas actuellement dans le Sahel : « Il n’y a de sécurité que collective dans la situation actuelle de l’Afrique noire. L’avenir reste sombre. L’impérialisme entend organiser l’anarchie sur tout le continent africain de manière à conserver l’initiative politique qu’il a déjà retrouvée et que lui avaient enlevée les mouvements de libération, à la veille de l’indépendance des États. C’est un fait nouveau d’une importance capitale, sur lequel il importe que l’attention des Africains se polarise […] Nous entrons dans une ère d’humilité et d’humiliation. Nous n’en sortirons que par l’adoption d’une solution politique de nature fédérale. Il est certain que les intérêts des peuples ne s’opposent guère à une pareille solution. Au contraire, tout invite…Sénégalais, Ivoiriens, Guinéens, Maliens, etc., à unir leurs moyens pour décupler leur capacité de résistance à l’anarchie et à la domination étrangère. Le cadre politique africain, dans lequel un effort de construction économique rationnel pourrait être entrepris, n’existe pas encore. Sa création ne dépend que des Africains. On transpose illusoirement la difficulté en essayant de réaliser des regroupements économiques en dehors du terrain politique. Il faudra un exécutif fédéral, si embryonnaire soit-il, auquel sera transféré un minimum de pouvoirs, lui permettant par exemple de décider de la spécialisation régionale.[5]« 

momarboss@gmail.com

[1]                L’ingérence française en Côte d’Ivoire d’Houphouët Boigny à Ouattara de Raphael Granvaud et David Mauger, p.413

[2]                Pierre BIARNÈS, cité par Philippe Gaillard. Foccart Parle, entretien avec Foccart, p.180

[3]                Mamadou Dia, Sénégal, radioscopie d’une alternance avortée, p.p 39-40

[4]                                Cheikh Anta Diop et l’Afrique dans l’histoire du monde, Pathé Diagne, p.45

[5]                Extrait de l’Afrique doit s’unir, article de Cheikh Anta Diop, publié dans Jeune Afrique (numéro : 240) en 1965

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