LE SUCCESSEUR DE MANDELA JUGÉ PAR SES COMPATRIOTES TROP BRITISH ET TROP ÉLOIGNÉ DES PRÉOCCUPATIONS DU PEUPLE.
Thabo Mbeki est né le 18 juin 1942. C’est un homme d’État sud-africain, membre du Congrès national africain qu’il préside de 1997 à 2007, et président de la République de 1999 à 2008. Il a vu le jour dans le Transkei, dans l’est de la province du Cap, dans le dominion de l’Union d’Afrique du Sud. Ses parents sont enseignants, membres du Congrès national africain (ANC) et du Parti communiste sud-africain (SACP).
L’enfance de Thabo Mbeki est imprégnée de références à Karl Marx et à Mohandas Gandhi (le Mahatma) dont les portraits ornent les murs du foyer familial. Il fréquente l’école primaire d’Idutywa et celle de Butterworth et obtient un diplôme d’études secondaires à Lovedale. En 1959, il est expulsé de l’école pour faits de grève et contraint de poursuivre ses études à la maison. Il entreprend de passer un diplôme en économie en tant qu’étudiant externe à l’université de Londres (1961-1962). Son parcours politique commence alors qu’il n’a que 14 ans lorsqu’il adhère à la Ligue des Jeunes de l’ANC pour lutter contre l’apartheid (1956). Il participe dans ce cadre à l’organisation de manifestations étudiantes contre la proclamation de la République sudafricaine en 1961. En décembre 1961, Thabo Mbeki est élu secrétaire général de l’Association des étudiants africains. Une fois ses diplômes validés, il revient au Cap-oriental comme activiste politique et enrôle une partie de sa famille dans ses activités politiques au sein de l’ANC. Il s’installe ensuite à Johannesburg où il travaille avec Walter Sisulu.
Après l’arrestation et l’emprisonnement de Sisulu, de Mandela et de son père, il quitte l’Afrique du Sud sur instruction de l’ANC (alors clandestine) à la fois pour compléter ses études et pour acquérir une formation politique anti-apartheid et devenir cadre de Umkhonto we Sizwe, la branche armée de l’ANC. Il passe 28 années en exil et ne revient en Afrique du Sud qu’en 1990, après la libération de prison de Nelson Mandela. L’étudiant de 19 ans ! Il a 19 ans quand il débarque en Angleterre pour suivre des études d’économie et d’études africaines à l’université du Sussex tout en représentant localement l’ANC et en motivant la population à s’engager contre l’apartheid en Afrique du Sud. Diplômé en 1966, il travaille au quartier général de l’ANC à Londres puis s’installe en Union soviétique où il suit pendant trois ans des cours à l’école du Parti communiste et reçoit une formation militaire à l’institut Lénine de Moscou (1967-1970).
En 1971, il devient secrétaire adjoint du conseil révolutionnaire de l’ANC, en exil à Lusaka en Zambie où le parti a installé son quartier général. Il représente l’ANC auprès de gouvernements étrangers au Botswana (1973- 1974), où il négocie avec le gouvernement l’ouverture de bureau de l’ANC dans le pays, au Swaziland et au Nigeria (1976-1978). En 1974, il retourne en Angleterre où il épouse Zanele Dlamini, une militante antiapartheid qui sera plus tard une femme d’affaires et une féministe engagée.
En 1975, Thabo Mbeki devient membre du comité national exécutif de l’ANC. En 1984, Mbeki devient chef des services d’information et de propagande du mouvement anti-apartheid. En 1985, il fait partie de la délégation qui rencontre des représentants de la communauté sud-africaine des affaires et en 1987 de celle qui rencontre à Dakar les représentants de la « Institute for a Democratic Alternative for South Africa » (IDASA), un laboratoire d’idées (think tank) progressiste d’Afrique du Sud. Il devient en 1989 chef du département des relations extérieures de l’ANC (concrètement le ministre des Affaires étrangères de l’ANC). La même année, il conduit la délégation de l’ANC qui rencontre secrètement les représentants du gouvernement sud-africain. Ces pourparlers, commencés en 1985, aboutissent à la légalisation de l’ANC et à la libération des prisonniers politiques.
Retour d’exil…
Revenu d’exil, il participe activement aux négociations avec le gouvernement de la minorité blanche sud-africaine, dirigé par Frederik de Klerk, pour mettre un terme à l’apartheid et engager une transition pacifique vers un pouvoir à majorité noire. Il participe notamment aux négociations de Groote Schuur et de Pretoria et à toutes celles suivantes relatives à la rédaction d’une constitution intérimaire pour l’Afrique du Sud.
En 1994, à la suite de la victoire de l’ANC à l’Assemblée d’Afrique du Sud lors des premières élections au suffrage universel, Thabo Mbeki devient vice-président d’Afrique du Sud, fonction qu’il partage avec Frederik de Klerk tandis que Nelson Mandela est porté à la présidence sud-africaine. Il devient progressivement le dauphin de Mandela, après avoir écarté successivement tous les autres prétendants à la succession de Mandela, comme Cyril Ramaphosa ou encore Matthews Phosa.
En 1996, à la suite de la démission de Frederik de Klerk et du retrait du Parti national du gouvernement, Thabo Mbeki devient l’unique vice-président d’Afrique du Sud au côté de Nelson Mandela, lequel lui délègue l’essentiel de ses pouvoirs exécutifs. Il est élu président de l’ANC lors du congrès du parti en décembre 1997. Parallèlement à cette prise de contrôle, il place ses fidèles à tous les postes clefs du gouvernement et de l’état (Banque centrale, services fiscaux, télévision nationale, état-major de l’armée). En juin 1999, Thabo Mbeki est naturellement élu président de la République et succède à Nelson Mandela. Il choisit Jacob Zuma comme vice-président.
En 2005, lors de son second mandat, il le congédie parce que mis en cause dans une affaire de corruption liée à un contrat d’armement de 3,7 milliards d’euros (les charges furent abandonnées en avril 2009). Cela provoque une grave scission au sein du parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC). Thabo Mbeki a été réélu en avril 2004 avec une majorité parlementaire encore plus étendue qui s’accroît encore par la suite avec la fusion-absorption du Nouveau Parti national. En 2007, Mbeki annonça aux deux chambres du Parlement qu’il avait décidé d’accélérer le processus d’amnistie des crimes politiques commis entre 1994 et 1999, en dispensant les criminels de rencontrer leurs victimes.
Dans les affaires internationales, Mbeki a joué un rôle notable dans les mises en œuvre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (le Nepad si cher à l’ancien Président Wade) et de l’Union africaine. Il a également tâché de promulguer le concept de « Renaissance africaine ». Son gouvernement a coopéré avec ceux du Brésil sous la présidence de Lula da Silva et de l’Inde sous le gouvernement d’Atal Bihari Vajpayee, constituant une alliance qui est devenue un protagoniste influent pour les intérêts des pays en voie de développement. Thabo Mbeki a également été médiateur dans la crise politico-militaire en Côte d’Ivoire à la demande de l’Union africaine, en 2004 et 2005.
Durant sa présidence, le président Mbeki souffre d’une image d’intellectuel lointain, arrogant, froid, autocratique, voire paranoïaque. Il peine ainsi à faire valoir ses réalisations comme une croissance économique annuelle de 5 à 6 % sur 10 ans, la construction de 2 millions de nouveaux logements depuis 1994, la connexion à l’électricité publique de 4 millions de foyers noirs, l’accès à l’eau potable pour 85 % des 48 millions de citoyens sud-africains. Cependant, le maintien de 10 % de la population dans une misère extrême, le chômage en hausse, estimé à près de 40 %, la forte progression de la criminalité, l’expansion de la pandémie du sida et la dégradation de la qualité de l’enseignement public restent les points noirs de sa politique qui lui sont reprochés par ses adversaires politiques, y compris ceux de l’ANC.
Ainsi, à la fin de son mandat, alors que les inégalités sociales se sont accentuées, le président Mbeki est accusé d’avoir perdu le contact avec le peuple pour privilégier une nouvelle bourgeoisie noire, tout aussi repliée sur ellemême que le fut la bourgeoisie blanche alors que les critiques politiques dénoncent même l’autoritarisme d’un gouvernement tiraillé entre sa propre aile gauche et son aile droite.
L’éloge des Afrikaners
Si ses relations avec le patronat sud-africain sont plutôt bonnes, elles sont plus complexes avec les Blancs en général. En avril 2005, Mbeki fait ainsi l’éloge des Afrikaners alors que ceux-ci ont des doutes sur leur pérennité en Afrique du Sud en raison des atteintes portées par les radicaux de l’ANC contre leur culture et leur patrimoine historique (notamment les changements de noms afrikaners ou la diminution drastique des institutions scolaires de langue afrikaans).
Dans un discours, le président Thabo Mbeki tente de les rassurer en les désignant comme des « catalyseurs qui mettront un terme à la division raciale du pays », n’hésitant pas alors à pointer les Blancs anglophones, moins enclins selon lui « à soutenir la nouvelle Afrique du Sud et l’africanisme ». Il recentre l’ANC et critique ouvertement ses alliés de l’Alliance tripartite (ANC, Cosatu, Parti communiste), qu’il avait qualifiés d’« ultragauchistes ». En juin 2005, il limoge son populaire vice-président, Jacob Zuma, englué dans un scandale politique. Il s’attire alors l’hostilité de la frange la plus populiste de l’ANC, celle qui soutenait Zuma.
L’impossible troisième mandat
En 2007, bien que ne pouvant effectuer de troisième mandat, Thabo Mbeki décide de se présenter de nouveau à la présidence de l’ANC, notamment pour contrer Jacob Zuma. Dans le cadre de sa campagne pour prendre la direction de l’ANC, bien que toujours sous le coup d’une enquête judiciaire pour corruption mais capitalisant sur la déception des plus pauvres face à la politique économique libérale du président Mbeki, Zuma obtenait cependant le soutien de cinq des neuf branches provinciales du Congrès national africain (ANC) et 61 % des votes, contre quatre branches provinciales et 39 % des voix pour le chef de l’état Thabo Mbeki, ce qui lui assurait la majorité relative des délégués.
Lors de la conférence élective du président de l’ANC qui se tint ensuite du 15 au 20 décembre 2007 à Polokwane, Jacob Zuma recevait le soutien de près des trois quarts des 3 900 délégués face au président sortant Thabo Mbeki. L’élection se fait dans un climat tendu entre les deux camps, sur fond de chants et de danses comme « Umshini Wami » (Passe-moi ma mitraillette), chant de la lutte contre l’apartheid, devenu emblème de Jacob Zuma.
Le 18 décembre, à l’issue d’une bataille de procédure qui a retardé de 24 heures le vote, Zuma est élu président de l’ANC par 2 329 voix (60 % des suffrages) contre 1 505 à Thabo Mbeki. La victoire de Zuma est d’autant plus humiliante pour le président sortant que tous les autres sièges du comité directeur soumis ce jour-là au vote des militants sont remportés par des proches de Zuma, ne laissant aucune place au camp sortant.
En 2008, le bilan économique du président Mbeki est menacé par une grave pénurie d’électricité qui plonge périodiquement les grandes villes dans l’obscurité et menace l’économie du pays et de la région. Après avoir utilisé les surplus de capacité hérités des anciennes structures, son gouvernement est contraint de recourir aux rationnements, de renoncer à certains grands projets créateurs d’emplois et de suspendre ses exportations d’électricité à destination de la Zambie et du Zimbabwe, en attendant la mise en service de nouvelles centrales, moins polluantes mais plus coûteuses.
En mai 2008, le gouvernement de Thabo Mbeki est confronté à une vague de violences contre les immigrés, caractérisée notamment par des meurtres, des pillages et des lynchages. Ayant pris naissance dans les quartiers pauvres de Johannesburg, elle s’étend en quelques jours aux grandes villes de 7 des 9 provinces du pays, notamment Le Cap et Durban. Elle occasionne la mort d’une cinquantaine d’immigrés et la fuite de plus de 100 000 autres, réfugiés notamment dans des camps de fortune ou évacués vers leurs pays d’origine.
Certains journaux, comme le Sunday Independent et le Sunday Times, vont alors jusqu’à en appeler à la démission de Thabo Mbeki. Le 23 septembre, par 299 voix contre 10, les députés sud-africains adoptaient une motion avalisant la démission de Thabo Mbeki de la présidence de la République avec effet au 25 septembre 2008. La démission de Thabo Mbeki s’accompagne de celle de la vice-présidente, Phumzile MlamboNgcuka, et de 11 de ses ministres.