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« Histoire Secrète – Référendum de 1958 : comment Senghor a ‘trahi Dia’ »

Il y a une séquence de l’Histoire qui est encore mal expliquée aux nouvelles générations. On reproche à Mamadou Dia de n’avoir pas monté en première ligne lors de la venue de Charles de Gaulle en Afrique en 1958 pour battre campagne contre le « Oui ». Pourquoi n’avait-il pas adopté la posture « révolutionnaire » de Sékou Touré face à l’homme du 18 juin ?

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En réalité, celui qui était devenu vice-président du Conseil de gouvernement du Sénégal dès mai 1957, mieux que Sékou Touré même, était favorable à une rupture avec la France, contrairement à Léopold Sédar qui voulait conserver le Sénégal dans la communauté.

Pour surmonter leurs contradictions, Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor se sont retirés à Gonneville-sur-Mer, en Normandie, histoire d’arrondir les angles. Dans ses mémoires, le maodo va révéler les minutes de son tête-à-tête avec Léopold Sédar Senghor, pendant cinq heures.

« Dans cette discussion de Gonnervile-Sur-Mer, relate-t-il, nous étions partis, l’un et l’autre, de prémisses diamétralement opposées. Pour ma part, je soutenais qu’il fallait relever le défi gaullien, qu’il fallait affirmer notre majorité et mettre fin à la présence française.

Senghor, quant à lui, estimait que ce serait l’aventure, l’anarchie, que nous avions besoin pendant encore une longue période du cadre de la Communauté. Mais, tous les deux, nous avions conscience que la rupture, en ce moment historique du tandem que nous constitutions, serait une catastrophe irréparable. Nous avions, tous les deux, conscience que, dans ce débat, il ne pouvait y avoir ni vainqueur, ni vaincu, et que nous étions condamnés à trouver un compromis entre nos positions.

C’est pourquoi la discussion fut longue, serrée, passionnée. Chacun d’entre nous dut donner, cet après-midi-là, le meilleur de lui-même comme dialecticien. Mais Senghor avait d’autres ressources que la dialectique. Il savait se faire séducteur et simulant, au besoin, le repentir et en plaidant pour lui l’indulgence. C’est les larmes aux yeux que j’ai cédé, au nom d’une vielle fraternité d’armes, devant l’aveu lâché en désespoir de cause, à travers un sanglot de remords qui arrachait le pardon et invitait à oublier la faute : car Senghor me dira que, de toutes façons, lui avait pris ses dispositions pour faire voter « Oui ».

Et il dut, devant mon insistance, m’avouer qu’il avait déjà fait des promesses au Gouvernement français. Naturellement je n’étais pas d’accord. Et nous en avons débattu longuement. Je lui ai dit que j’acceptais de me ranger à son point de vue, c’est-à-dire de faire voter « Oui » au référendum, mais à condition qu’il soit entendu et dit explicitement que c’était un « oui » à l’indépendance, et que dans deux ans nous prendrions celle-ci. Il y a eu une discussion sur le délai. Pour Senghor, il fallait attendre quinze, vingt ans pour digérer l’autonomie. J’ai refusé de le suivre. Puis, de concession en concession, il a fini par accepter le délai de cinq ans, au maximum.

C’est dans ces conditions que nous nous sommes mis d’accord pour prêcher le « Oui ». C’est ce fétichisme de l’amitié qui me perdra. Senghor connaissait bien ma faiblesse : il l’exploitera à chaque fois que de besoin. Homme du double-jeu, il ménagera des arguments de droit dont il se prévaudra une fois la rupture sentimentale consommée.

Je crois que si j’étais resté seul avec Senghor, j’aurais eu des difficultés. Ce qui va sauver la situation, constituer un élément d’accélération, c’est la position des Soudanais qui, eux, voulaient l’indépendance-même s’ils allaient se résigner, eux aussi, à voter « Oui » au référendum- et avec lesquels nous allions former, dans un proche avenir, le Parti de la fédération africaine et la Fédération du Mali.

Au sein de l’Ups, nous étions une forte majorité à vouloir voter « Non », puisque nous étions en mesure, au Sénégal, de prendre tout de suite notre indépendance : nous avions les cadres ; nous étions certainement parmi les mieux placés de ce point de vue-là, certainement mieux que la Guinée.

Sékou Touré, jusqu’au congrès du Pra, à Cotonou, n’avait jamais dit qu’il voulait l’indépendance. Il était plutôt, avec Houphouët-Boigny, pour réclamer une sorte de Fédération. C’est lors de l’escale de la Gaulle à Conakry, qui a eu lieu à la veille de son passage au Sénégal et qui a été marquée par le fameux affrontement verbal entre les deux hommes, qu’il a pris la décision de rompre et de voter « Non » au référendum.

A ce moment-là, j’ai rencontré un de ses ministres – Ismaïla Touré, son frère cadet – qui pensait qu’il serait souhaitable que je puisse voir Sékou Touré pour discuter avec lui, estimant que j’étais, peut-être, le seul homme d’Etat africain qu’il écouterait, parce que mon interlocuteur estimait que nous avions raison, nous au Sénégal, de défendre la thèse de l’indépendance dans l’unité. Nous disions en effet qu’il fallait d’abord réaliser l’unité avant de prendre l’indépendance, et il pensait que, si je pouvais rencontrer Sékou Touré, je pourrais le convaincre de nous rejoindre, en acceptant de voter « Oui », afin que, ensemble, nous préparions l’indépendance ».

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