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LA RESPONSABILITÉ MÉDICALE, LE DROIT ADMINISTRATIF ET LE PROCUREUR

Depuis quelques jours, la justice sénégalaise nous donne le spectacle affligeant de son niveau élevé de dysfonctionnement. Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’un homme politique dont le destin est scellé par une poignée de magistrats obéissant aux ordres du chef de l’exécutif. Nous sommes confrontés à un drame que les errements d’un procureur rendent encore plus difficile à supporter.

La mort des suites d’une intervention chirurgicale de la parturiente Mamy Doura Diallo et de son bébé au centre de santé de Kédougou a montré à quel point les citoyens sont en insécurité judiciaire. Notre liberté, notre présence parmi nos proches, l’exercice de notre métier peuvent être remis en cause du jour au lendemain par la simple volonté d’un procureur et ceci sans que le droit ait quelque chose à y voir. Il s’y ajoute, pour le malheur des professionnels de santé, la frénésie procédurale des magistrats depuis la découverte par les médias du marronnier de la mort dans les structures de santé.

Il suffit de quelques manchettes racoleuses et morbides de la presse écrite le matin suivies de « plateaux de télévision » le soir avec des chroniqueurs sans la moindre compétence médicale, mais suffisamment spécialiste en « toutologie » pour que la machine s’emballe. Le procureur de pousser tous les dossiers qui se sont amoncelés sur son bureau au fil des années pour s’occuper du cas à grand renfort de communiqués de presse.

Deux remarques préliminaires

Il n’est pas question ici de critiquer la presse qui fait face à des contraintes structurelles parmi lesquelles le modèle économique n’est pas des moindres. Les journalistes qui tiennent l’antenne en direct pendant des heures sont des « forçats de l’information » nous leur devons des encouragements pas des quolibets. Il ne s’agit pas de dire que les professionnels de santé ne doivent pas rendre des comptes lorsque leur responsabilité est engagée. De même, passer par perte et profits la situation problématique de notre de système santé en général et des structures de soins médicaux en particulier. Divers travaux scientifiques et des rapports d’organisations de la société civile ont montré comment la violence est au cœur du fonctionnement des hôpitaux. Qu’elle soit verbale, physique ou symbolique, de manière banale la violence s’exerce sur les patients par des professionnels. Les travailleurs des hôpitaux subissent eux-mêmes la violence des usagers et de l’institution. Les établissements publics de santé sont des employeurs à qui le droit du travail ne s’applique pas.

Que les professionnels de santé et les établissements publics de santé aient mauvaise presse et l’opinion remontée contre eux, ils n’en demeurent pas moins des sujets de droit. La loi sénégalaise est claire : le professionnel de santé qui exerce au sein d’une structure hospitalière publique intervient en tant qu’agent de l’administration et le patient est un usager du service public. En cas d’accident, seule la responsabilité de l’établissement public est en principe engagée. C’est quand il peut être considéré que le professionnel de la santé a commis une faute personnelle détachable de ses fonctions que sa responsabilité pénale ou civile est engagée. Les fautes détachables de l’agent résultent d’actes relevant de sa vie privée ; d’une intention de nuire ; de la recherche d’un intérêt personnel et enfin la faute inadmissible, inexcusable au regard de la déontologie professionnelle. Cette responsabilité personnelle des agents ne se présume pas, elle doit être démontrée par des enquêtes sérieuses.

Procureur ou politicien ?

Le communiqué de presse (CP) du 31 août 2022 du procureur de la République près du Tribunal de grande instance de Kédougou est un modèle de déclaration politique : biaisé, péremptoire et spéculatif, il peut servir de modèle à tous ceux qui au sein des partis sont chargés d’en rédiger. Il ressort de la lecture que son auteur n’est pas médecin et qu’il connaît peu de choses à l’art. Aucun terme médical pour décrire les éventuels manquements, des affirmations gratuites comme « la défunte qui était diabétique ne pouvait nullement supporter accouchement par voie basse vu son poids qui était quasiment à 100 kg ». « Il nous a été donné de constater que le fœtus pesait 4 kilos 770 grammes et donc ne pouvait sous quelque acrobatie utilisée sortir par la voie basse. »

Quelles sont les sources médicales du procureur ? En termes techniques, l’équipe médicale était face à une dystocie des épaules conséquence d’une macrosomie fœtale. Les praticiens avaient-ils posé le diagnostic de macrosomie fœtale avant le début du travail ? Au cours des visites prénatales avaient-ils décelé les signes devant les orienter dans ce sens ? Les réponses à ces questions et bien d’autres ne peuvent que découler de l’étude attentive du dossier médical de la défunte. Le dépistage d’une macrosomie fœtale n’est pas un exercice facile. La sensibilité et la spécificité du dépistage clinique sont mauvaises. À l’échographie, les calculs pour estimer le poids fœtal ne sont pas infaillibles. À Kédougou, ces moyens existent-ils ? Le débat fondamental est de savoir si la responsabilité des praticiens est engagée. Le cas échéant, savoir s’il s’agit d’erreur ou de faute. Le procureur de Kédougou tel un politicien désireux de profiter d’une occasion pour faire avancer sa cause n’a pas voulu s’intéresser au fond. 

Que fait maître Malick Sall, le ministre de la Justice ?

Il y a quelques semaines François Mancabou interpellé en bonne santé mourait après quelques jours de garde à vue. Dans un endroit où il n’y a aucune de raison d’avoir des « fractures cervicales », il en a été victime. L’« enquête » du procureur de Dakar n’a donné lieu à aucune garde à vue. Pourquoi l’hôpital, lieu où la mort est un phénomène malheureusement récurent, ne peut pas être le théâtre d’enquêtes sans gardes à vue et mandats de dépôt ? Maître Malick Sall qui s’est surtout illustré jusqu’à présent comme garde des siens va-t-il prendre date avec l’histoire en mettant en œuvre des réformes qui permettront un traitement juste et équitable des plaintes des usagers des services publics de santé ? En attendant, peut-il nous dire quelles sont les instructions de la Chancellerie aux parquets dans le traitement des dossiers impliquant les professionnels de la santé ?

L’époque de la toute-puissance et l’impunité du corps médical sont révolues. En même temps que la médecine devient une science pointue et une technique sûre, le public tolère de moins en moins ce qui peut sembler des erreurs ou des fautes. Il faut prendre en compte ces évolutions et penser le traitement judiciaire qu’il faut apporter aux plaintes des usagers. Il nous paraît qu’il y a deux travers à éviter : la complaisance et l’acharnement. Cela passe par la protection des droits des usagers et des professionnels, le respect des textes de loi édictés et l’allocation à la Justice de moyens nécessaires à sa mission. Personnellement, je suis contre l’idée d’un tribunal des paires telle que le demande le Conseil de l’Ordre des médecins. Que le Conseil continue de s’occuper des fautes déontologiques va de soi. Lui donner des prérogatives en matières civiles et pénales est inconcevable en démocratie. 

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