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LA VEILLÉE D’ARMES

Les députés élus à l’issue des élections législatives du 31 juillet dernier seront installés, lundi prochain. Jamais, dans l’histoire du Sénégal, un président de la République n’a eu une majorité parlementaire aussi étriquée, à une voix près. Pouvoir comme opposition partagent une incertitude liée au respect des consignes des états-majors par les députés pour l’élection du bureau de l’Assemblée nationale. Chaque voix vaudra son pesant d’or…

Briefing de rentrée parlementaire ! Le groupe des députés nouvellement élus de la coalition Benno Bokk Yaakaar organise, à l’intention de ses membres, ‘’un séminaire de formation’’ à partir d’aujourd’hui et pour deux jours à Saly. Derrière les termes ouatés, ce synode très politique cache une véritable mise en condition, une sorte de préparation, comme le feraient des sportifs avant une entrée en compétition. Parmi les organisateurs de ce raout des députés de la majorité présidentielle, figure en bonne place Abdou Mbow, premier vice-président de l’Assemblée nationale, lors de la précédente législature, réélu sur la liste nationale et transmetteur attesté des directives présidentielles.

Loin du farniente propre à la station balnéaire de la Petite Côte, il y sera question de ‘’construction d’un bloc solidaire, solide et uni dans la promotion d’une Assemblée nationale forte’’ et de préparation à accomplir ‘’leur exaltante mission dans la marche de notre nation vers son destin de progrès’’. Dans le programme concocté depuis le palais, officiellement, les députés de Benno vont s’imprégner de l’environnement institutionnel de la République du Sénégal, des rapports entre les pouvoirs Exécutif et Législatif ; du rôle, des missions et de la responsabilité du député au regard de la Constitution ; du règlement intérieur de l’Assemblée nationale ; du budget et du contrôle budgétaire. Entre les mots, il faut comprendre que ce sera surtout un exercice pour recevoir des consignes, harmoniser les positions et briser le tabou constitué par la fragilité de la majorité. En clair, partager la spécificité de l’hémicycle : une majorité à une voix près…

Le camp présidentiel sait que sa majorité ne tient qu’à un fil. Et depuis l’annonce des résultats des législatives du 31 juillet dernier, à part le ralliement de l’ancien maire de Dakar Pape Diop (ex-président de l’Assemblée, puis du Sénat), aucun mouvement n’a été noté dans le sens de rompre le presque équilibre sorti des urnes, presque du 50/50. Il s’en est fallu de peu pour que le fameux projet de cohabitation cher à l’opposition ne devienne envisageable.

Dès lors, les échanges pourraient glisser des incitations à ‘’la loyauté’’, à un réarmement moral, pour relancer une dynamique mise à mal par la retentissante entrée en force de l’opposition au Parlement et illustrée par le silence de Macky Sall qu’on ne peut décrypter autrement que par le constat de prévisions faussées.

Réarmement moral, car l’Assemblée nationale qui s’installe lundi prochain sera inédite, avec une opposition ragaillardie par sa victoire dans les régions de Dakar et Ziguinchor, dans les départements de Saint-Louis, Thiès, Tivaouane, Goudomp, Mbacké et Saraya. La majorité Benno aura besoin de cohésion et de discipline pour s’assurer du perchoir, de quatre postes de vice-président, d’autant de postes de président de commission et d’un poste de questeur que lui permet sa majorité. Si la veillée d’armes de Saly n’aboutit pas à un consensus fort pour désigner le président de l’Assemblée nationale, alors que le vote est secret pour son élection, un coup de tonnerre pourrait retentir à la place Soweto et dont les échos lézarderaient tout l’édifice Benno, à 17 mois de la Présidentielle elle-même entourée d’incertitudes.

La présidentielle est dans les esprits

Déjà, les noms de la tête de liste Aminata ‘’Mimi’’ Touré  et du ministre des Finances et du Budget Abdoulaye Daouda Diallo circulent avec insistance pour la candidature au perchoir. Macky Sall peut-il se payer le luxe de voir ‘’ses’’ députés aller en rangs dispersés, avec le risque de se coltiner un président de l’Assemblée nationale qu’il n’aurait pas choisi ?

En face, on n’est pas mieux loti. Pire, l’opposition n’apparaît porteuse de changement qu’unie. Or, dans le sillage de la proclamation des résultats des Législatives par le président de la Cour d’appel de Dakar, Ciré Aly Bâ, ce sont des listes Yewwi Askan Wi (56 députés) et Wallu (24 sièges) bien différenciées qui vont se présenter à l’hémicycle. L’enjeu pour Ousmane Sonko, Khalifa Sall, Habib Sy, Aïda Mbodj (tous non élus) et les autres leaders de l’opposition est de maintenir l’alliance électorale entre eux et le président Abdoulaye Wade. Déjà, le poste de président de l’Assemblée a révélé les divisions qui y ont cours.

Ousmane Sonko a fort opportunément annoncé qu’il soutient la candidature de Lamine Thiam portée par le PDS et des alliés dans Wallu. C’est un indicateur pertinent de sa volonté de maintenir l’alliance avec le ‘’Pape du Sopi’’. Mais les ambitions du maire de Dakar, Barthélemy Dias, et de son collègue de Guédiawaye, Ahmed Aidara, ainsi que celles de l’élu de Mbacké, Cheikh Abdou Mbacké Bara Dolly, se sont révélées au grand jour. Et il est constant que le nombre important de nouveaux élus, novices, mais conscients de leurs nouveaux pouvoirs, peut favoriser l’émergence de nouvelles aspirations, ajoutant ainsi à l’incertitude. Et, en filigrane de ce jeu d’ombres, il y a les agendas convergeant vers la Présidentielle de plusieurs figures de l’opposition à Macky Sall, et que les députés Yewwi et Wallu devront nécessairement endosser.

Jusqu’à hier, les positions restaient figées, ‘’même si les gens se parlent’’, comme l’a soufflé un responsable de Pastef, le parti d’Ousmane Sonko. Ce n’est pas seulement le maintien de l’intercoalition Yewwi-Wallu qui sera en question. La bataille pour les postes fera rage. L’argument du temps de parole pour justifier la probable inflation de groupes parlementaires cache le besoin de fixer les positions autour des futurs candidats de l’opposition à la Présidentielle de 2024 et de renforcer leurs appareils présents à la place Soweto.

Bien qu’absents de l’hémicycle, Khalifa Sall, Ousmane Sonko et Karim Wade joueront leur partition par procuration.

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