LE CASH TRANSFERT, CACHE-MISÈRE DU DÉVELOPPEMENT ?
Le cash transfert, cet instrument de la Banque Mondiale et des institutions du consensus de Washington mis en place comme un des filets sociaux refait l’actualité au Sénégal depuis 3 ans. Il a fait l’objet d’un débat au moment du COVID 19 et dans le cadre de la définition de mécanismes de résilience face aux conséquences sanitaires et économiques dramatiques de la pandémie du siècle. En effet, après une discussion avec des experts et économistes sénégalais, le gouvernement avait hésité entre un cash transfert de 65000 FCFA et un kit alimentaire équivalent pour soutenir les ménages fatigués par des mois de limitation d’activités productives, d’échanges et de diversification de leurs sources de revenus. Dans cette période, même les transferts financiers des migrants dont le volume et la régularité constituent une sécurité sociale pour des dizaines de milliers de ménages sénégalais, avaient connu une baisse drastique et pour certains cas, un tarissement lié à l’arrêt des activités dans les pays d’immigration.
Mais pour la Banque Mondiale qui les encourage et les finance, ces cash transfert doivent accompagner la lutte contre l’extrême pauvreté et la vulnérabilité des populations aux chocs. C’est qu’après des dizaines d’années de mise en œuvre de ses options économiques et de ses potions amères par les pays africains dont le Sénégal, il est difficile de capitaliser des impacts significatifs vers le développement durable et la souveraineté.
Que représente et que signifie en termes d’économie politique et idéologique ce cash transfert de plus en plus utilisé comme un mécanisme de protection sociale régulier ou exceptionnel, conditionnel ou non conditionnel ? Quelle est sa cohérence avec les modèles et politiques de développement proposés à nos pays depuis leur insertion forcée dans le libre échangisme ? Sont-elles efficaces dans la durée et au-delà de permettre à des ménages d’améliorer leur quotidien pendant quelques jours ? Le cash transfert n’est-il pas juste un cache misère ou un cache sexe visant à rendre plus vivables et moins indécentes les inégalités consubstantielles aux potions des institutions de Bretton Woods et du consensus de Washington, ou à masquer les stigmates des politiques économiques qui ne soutiennent que très peu les secteurs productifs ruraux et l’industrialisation ? Il doit également être interrogé en rapport avec le PSE dont l’impact transformationnel sur notre économie est encore attendu. Le cash transfert, au même titre que les autres filets sociaux, n’a pas d’avenir et sa mise en œuvre est problématique. En effet, celle-ci s’appuie sur des mécanismes statistiques incertains et des critères discutables.
Le maintien des pays comme le Sénégal dans la forme de petites économies ouvertes caractérisées par l’étroitesse des marchés, la faible productivité, le déficit de souveraineté monétaire et financière, la dépendance aux investissements directs étrangers et aux partenariats public-privé tournés vers les infrastructures de prestige et l’extraversion, rend indispensable les mécanismes de ce type pour éviter l’explosion sociale. Sous ce rapport, le fake-generosity dont font preuve les pouvoirs en place légitime et officialise également la logique de distribution corruptive pour entretenir la clientèle politique et l’élargir en pensant à la prochaine élection.
Au Sénégal, c’est d’abord durant le Covid 19 que l’État a mis en place un programme d’aide alimentaire d’urgence en faveur des ménages les plus vulnérables. Ce dernier est inclus au volet de protection sociale du Programme de Résilience Économique et Sociale (PRES) d’une somme de 1000 milliards de FCFA mise en place par l’État pour lutter contre les effets négatifs de la crise liée à la Covid-19. 7 % de cette somme, soit 69 milliards de FCFA ont été allouées au Programme de Distribution de Kits Alimentaires (PDKA) qui a touché 1 100 000 ménages vulnérables localisés dans les 14 régions du Sénégal (Comité de suivi de la mise en œuvre des opérations du Force Covid-19, 2021).
In fine, la protection sociale ne doit pas constituer une panacée ou un cache sexe du développement véritable. Le cash transfert et l’aide alimentaire avec les bourses familiales, la CMU, le plan sésame, la carte d’égalité des chances, etc. représentent des modalités d’appui aux populations les plus vulnérables à côté des interventions des centaines d’ONG un peu partout dans le pays. Le cash transfert est le dernier avatar de l’assistancialisme et pose non seulement des problèmes méthodologiques et stratégiques, mais pointe également les limites des politiques de développement adoptées par nos pays qui continuent à être embrigadés dans un rôle de puits de ressources naturelles et de consommateurs dépendants culturellement et économiquement de pays lointains. Leur impact limité devrait faire réfléchir à des politiques sociales plus durables dans un cadre communautaire et des stratégies de développement plus souveraines et plus intraverties.