UNE SEMAINE D’ENFER
Heureusement que la vie est pleine d’activités différentes de celles liées à la politique, entendue ici comme l’art de conquérir ou de préserver le pouvoir. N’eût été le Magal de Touba et la ferveur, le partage, la foi, la solidarité qu’il charrie, on aurait pu dire de la semaine dernière qu’elle a été une horribilis septimana. Merci à nos compatriotes mourides de nous avoir offert des moments aussi exaltants et pourvoyeurs d’espérance dans le devenir de notre pays.
Scandale démocratique et dysfonctionnement institutionnel
La semaine avait très mal débuté avec le spectacle révoltant de forces armées imposant le cours du débat parlementaire et du scrutin de la présidence de l’Assemblée nationale. À une occasion au moins, sur les images de webtélés, on voit un officier porter la main sur une parlementaire, qui a fini par terre après avoir été bousculée par la troupe. Qu’on se le dise, de telles images sont inédites et sont l’expression d’une dérive autoritaire du pouvoir présidentiel. La présidente de la séance inaugurale de la quatorzième législature n’a pas le pouvoir de donner l’ordre aux gendarmes d’aller aussi loin dans leur intervention au sein de l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Il n’est même pas exagéré de se demander si cette intervention militaire n’était pas préméditée.
Cette séance du lundi 12 septembre 2022 était tellement mal organisée qu’on peut légitimement se demander si un soin particulier n’a pas été mis pour qu’il en soit ainsi. Une sonorisation défaillante, avec des microphones qui grésillaient tels ceux des chants religieux des quartiers populaires dans les années 1980. Des microphones baladeurs appelés à la rescousse d’où ne sortait aucun son. Les galeries du public remplies de militants du camp présidentiel, qui ne se sont pas privés de manifester bruyamment. Les plus téméraires d’entre eux, invectivaient les députés de l’opposition. Un citoyen, qui n’a pas été candidat à la députation, a accédé à l’hémicycle et s’est adressé de la tribune aux députés pendant plus de trois minutes sous le regard impassible du chef de l’administration de l’Assemblée nationale. Un député du camp présidentiel avait par-devers lui des délégations de vote de personnes présentes dans l’enceinte. On le voit bien, les députés de BBY se sont surpassés pour que ça soit la chienlit à la place Soweto ce jour-là. Il faut quand même se méprendre sur les personnalités de Barthélemy Dias, Guy Marius Sagna ou Abass Fall et le mandat populaire qu’elles ont reçu pour penser qu’ils se laisseraient marcher sur les pieds de la sorte par le camp présidentiel.
Un discours de va-t-en-guerre
Après deux jours de gymkhana parlementaire, on a connu presque deux jours d’accalmie dans le débat politique avec le Magal de Touba qui commémore la déportation en 1895 par l’administration coloniale française au Gabon, du fondateur de la confrérie Mouridiyya, Cheikh Ahmadou Bamba. Alors qu’on pensait que le pèlerinage de Touba ouvrirait la voie de la sagesse au camp présidentiel, il persistait dans sa stratégie : la tension en continu. C’est Madiambal Diagne, autoproclamé et jamais récusé ami du président et qui pour le citer : « … je vois le président Macky Sall quand je le veux et quand il le veut, matin, midi, soir… » d’ouvrir les hostilités en s’en prenant… au port vestimentaire d’un député de YAW. Pour l’ami de Macky Sall, l’« accoutrement », une tenue élégante en réalité, est un danger pour l’unité nationale et signe de ralliement à l’irrédentisme de feu l’abbé Augustin Diamacoune Senghor (1928-2007) qui a dirigé le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), l’organisation indépendantiste à l’origine du conflit dans la région méridionale du pays. Monsieur Mandiambal Diagne étant fâché avec les faits, il n’est pas inutile de rappeler que le député qu’il accuse est membre d’un parti qui se réclame du panafricanisme et que la dernière décennie de la vie de l’abbé Diamacoune Senghor a été marquée par un retour dans le giron de la République du Sénégal. Il a été reçu par Abdou Diouf, à la gouvernance de Ziguinchor et par Abdoulaye Wade le 4 mai 2003 au Palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor.
Cette attaque contre le député de l’opposition Alphonse Mané Diédhiou, n’était que le prélude à celle au bazooka du président en personne. Le vendredi 16 septembre dans un message à la Nation aussi inattendu qu’improvisé, Macky Sall a montré sa disponibilité d’esprit : en découdre avec l’opposition. Ce discours présidentiel n’a pas été un propos d’apaisement après la crise au Parlement. Son message a été sans équivoque, sur une ligne d’attaque ! Il s’en est pris à l’opposition et s’est immiscé dans les affaires du parlement au nom d’un mandat… que les élections territoriales et législatives auraient renouvelé. Sans dire par quel miracle rationnel, politique et constitutionnel il en était arrivé à une telle conclusion, il a intimé l’ordre de se réunir autour de sa personne. De ce qu’il s’est passé à l’Assemblée nationale le 12 septembre, il n’a retenu que des « incidents » avec dégradation de « matériels ». Il n’a pas évoqué le boycott par l’opposition l’élection du HCCT. Il n’a ouvert aucune perspective de dialogue républicain entre les forces politiques du pays. Ce message à la Nation ne peut être interprété par l’opposition que comme la volonté d’en découdre. Nous allons vers une période de tensions.
Un gouvernement de bretteurs sans légitimité populaire
Le samedi 17 septembre 2022, après moult tergiversations le président Macky Sall, s’est finalement soumis à la Constitution en nommant un Premier ministre. Plusieurs heures après le moment annoncé, la liste des membres du gouvernement a été divulguée. Que dire de cette équipe présentée comme de « combat » contre les défis sociaux que les diverses crises imposent au peuple sénégalais ? Le premier constat est que les principales figures de ce gouvernement n’ont pas brillé cette année par leurs succès électoraux. Les trois quarts d’entre ceux qui se sont présentés aux territoriales ou aux législatives ont été défaits. Parfois avec des scores qui frisent l’humiliation. Une autre catégorie et pas des moindres de ces ministres, est celle de politiques qui pour des raisons inconnues ne se sont pas soumises au suffrage populaire. Il s’agit donc d’un gouvernement sans grande légitimité politique. Si son chef, Amadou Bâ, est réputé calme et mesuré, il en est autrement de plusieurs figures de cette équipe. Un d’entre eux a récemment promis de s’occuper de l’anatomie d’un opposant. Un autre, a été sûrement nommé pour prendre le contrepied de l’exégèse juridique de la Constitution qu’il faisait. Cette équipe est un casting de bretteurs qui se livrera au concours du propos le plus outrancier envers les opposants. Très bientôt, le doute ne sera plus permis sur la nature du « combat » de ce gouvernement. Les oreilles d’un certain opposant radical siffleront.