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DAKAR ACCUEILLE LA DEUXIÈME ÉDITION DE LA CONFÉRENCE SUR LA SOUVERAINETE ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE DE L’AFRIQUE

SenePlus publie ci-dessous, la note conceptuelle de la deuxième édition de la conférence sur la souveraineté économique et monétaire de l’Afrique prévue 25 au 28 octobre 2022 à Dakar.

Lors de la première édition de la Conférence sur la Souveraineté Économique et Monétaire de l’Afrique (novembre 2019 à Tunis), les participants ont souligné que les pays africains, malgré leur grande diversité, ont un déficit de contrôle sur leurs ressources réelles et financières ainsi que sur leur agenda de développement. Les legs du colonialisme, particulièrement manifestes à travers l’émiettement politique du continent et son rôle d’exportateur de produits primaires voire de produits manufacturiers basés sur une force de travail à bas coût, les contraintes particulières du système monétaire et les dynamiques de classes continuent de façonner la manière dont les sociétés africaines luttent pour accroître le contrôle sur leurs propres ressources. Le règne sans partage de l’approche économique mainstream dans les enseignements universitaires et dans la conception des politiques publiques contribue à reléguer à l’arrière-plan les réflexions et démarches permettant d’envisager différemment les questions de développement. L’une des recommandations principales de la première édition a été que le continent doit œuvrer à accroître sa souveraineté économique et monétaire, afin de se prémunir de la grande volatilité de l’économie mondiale, visible à travers la récurrence des crises de dette souveraine, et d’être moins dépendant de programmes d’aide des pays du Nord dont les résultats demeurent mitigés.

Malheureusement, la pandémie de Covid-19 a conforté le diagnostic qui avait été établi à Tunis. Autant elle a fait ressortir les faiblesses structurelles du continent africain, autant elle a été une expérience grandeur nature des limites du système économique mondial. Face à un problème de santé publique globale, les pays du Nord ont préféré réserver les vaccins à leurs populations à l’exclusion de celles du Sud Global. Ils ont été peu enclins à lever les droits de propriété intellectuelle empêchant la production des vaccins anti-covid par les pays du Sud à des prix accessibles pour eux. Ils ont choisi de se placer du côté des créanciers privés et multilatéraux plutôt que de concéder des annulations de dette rendues nécessaires par les circonstances exceptionnelles associées à la pandémie de Covid-19. Quant à l’émission de nouveaux droits de tirage spéciaux (DTS), elle n’a fait que rendre encore plus évident le caractère asymétrique du système financier international. Avec une clé de répartition basée sur le poids économique plutôt que le besoin objectif, les DTS ont majoritairement échu aux pays du Nord qui n’en ont pas vraiment besoin et ne savent pas trop quoi en faire. La part modeste allouée aux pays du Sud ne leur permet pas de faire face à leurs défis conjoncturels.

La gestion égoïste du Covid-19 par les pays du Nord n’a donc pu que renforcer la vision qui enjoint le Sud Global, l’Afrique notamment, à se déconnecter du système mondial. La logique de la déconnexion, dans la formulation proposée par Samir Amin, n’est pas celle de l’autarcie mais plutôt celle de la lutte pour reconfigurer les relations globales, avec l’objectif de faire prévaloir durablement les intérêts des peuples du Sud sur les exigences du système global. Mais comment se déconnecter ? Qui peut se déconnecter ? Quelles conditions doivent être mises en place ? Voilà des questions pratiques loin d’être simples que la seconde édition de la conférence sur la souveraineté économique et monétaire souhaiterait aborder plus en profondeur.

En Afrique, les réflexions sur le thème de la déconnexion remontent au début des années 1980 avec la mise en œuvre des plans d’ajustement structurel, voire même au seuil des indépendances, si l’on considère la vision panafricaniste du président ghanéen Kwame Nkrumah ou le plaidoyer pour l’autosuffisance de son homologue tanzanien Julius Nyerere. De nos jours, il semble nécessaire de poser la question de la déconnexion dans le cadre d’un triptyque qui inclut deux autres problématiques adjacentes : la crise socio-écologique ; et la question des réparations globales.

De plus en plus de travaux alertent sur la trajectoire non-soutenable d’un point de vue environnemental de l’économie mondiale. La poursuite des schémas d’accumulation économique, tels ceux observés dans les pays du Nord et, à un moindre degré, en Chine, contribue à accélérer les changements climatiques, les pertes de biodiversité, la fonte des glaciers, l’acidification des océans, etc. Il est maintenant scientifiquement établi que les températures moyennes de la planète ont commencé à augmenter significativement à partir du 19e siècle avec l’industrialisation des pays riches d’aujourd’hui. L’amorce de cette nouvelle ère géologique qualifiée d’anthropocène, voire, parfois de manière plus suggestive, de capitalocène, a lancé une sorte de course contre la montre. L’humanité doit se mobiliser avant qu’il ne soit trop tard, avant que l’on atteigne des points de non-retour où les choses ne seront plus entre nos mains. Tel est de manière basique le message régulièrement transmis par les nombreux rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Il faudra donc nécessairement changer de modèle économique. Il faudra aller vers des formes d’industrialisation « verte » et, plus généralement, de structures de production et de consommation moins dépendantes des énergies fossiles, plus économes en ressources et plus soucieuses de la durabilité écologique. Sur ce point, des propositions variables peuvent être observées dans les pays du Nord, partant des perspectives plus radicales comme la Décroissance à celles plus conservatrices tournant autour de l’idée d’une « croissance verte » basée sur l’innovation technologique et des solutions pro-marché. À mi-chemin entre les deux, il y a les projets de Green New Deal promus par des partis d’orientation social-démocrate.

Dans la perspective des pays du Sud, et de l’Afrique en particulier, la question est de savoir comment éventuellement réaliser une déconnexion dans cette configuration. Premièrement il est sous-entendu que les modèles passés d’industrialisation ne leur seront pas accessibles car ils reposaient sur un exceptionnalisme écologique qui s’avère aujourd’hui insoutenable et donc non-généralisable à tous les pays de la planète. Deuxièmement, alors qu’ils ont toutes les peines du monde à assurer l’accès à l’électricité et à une vie décente à leurs populations, les pays du Nord semblent leur dire qu’ils doivent se détourner des énergies fossiles qui, pour un certain nombre d’entre eux, constituent une source importante de revenus d’exportation et de rentrées fiscales. Troisièmement, les pays du Nord ne semblent leur donner aucune garantie que les scénarios de transition écologique qu’ils envisagent ne se feront pas à leur propre détriment, en renouvelant les formes de dépendance. Certains activistes évoquent déjà le spectre d’un « colonialisme vert ».

Conscients à la fois de l’urgence du problème climatique, des défis spécifiques auxquels sont confrontés les pays du Sud et du fait que ces derniers ont été (et seront) plutôt des victimes du capitalocène que ses fers de lance, des mouvements pour la justice climatique ont émergé progressivement ces dernières décennies pour exiger des réparations globales de la part des pays du Nord au profit de leurs minorités raciales et des pays du Sud. Ces réparations concernent par exemple les crimes contre l’humanité, à l’instar de l’esclavage et du colonialisme, et les injustices climatiques. Bien que les mouvements en faveur de réparations globales incluent dans leurs revendications les dimensions mémorielles et épistémiques, ils tendent à insister surtout sur les transferts monétaires unilatéraux.

Quel que soit l’avis que l’on pourrait avoir sur la question des réparations globales, il est clair qu’une transition énergétique bénéfique à tous, aussi bien aux peuples du Nord qu’à ceux du Sud, nécessitera des transferts nets de ressources des pays du Nord vers les pays du Sud. Or, jusque-là, c’est plutôt l’inverse que l’on a observé. Pour des raisons diverses, les pays du Nord tendent à recevoir des transferts nets de ressources de la part des pays du Sud. Comment inverser cette situation « anormale » ? Dans quelle mesure la nécessité de transferts nets de ressources de la part du Nord peut-elle s’articuler à une stratégie déconnexion du Sud ? Quelles réformes faudrait-il éventuellement apporter à l’ordre économique mondial dans l’optique d’une transition écologique globale et inclusive ? Quels changements faudra-t-il envisager pour les systèmes monétaires et financiers aux échelles nationale et globale ? Quelles sont les implications pour les politiques industrielles et commerciales ? Etc.

Voilà autant de questions qui seront au menu de la seconde édition de la Conférence sur la souveraineté économique et monétaire de l’Afrique. Placée sous le sceau de la solidarité internationale, cette rencontre mettra à l’honneur des invités de marque venus des quatre coins de la planète. Avec en prime une diversité de perspectives analytiques – Panafricanisme, Éco-socialisme, Féminisme décoloniale et panafricaniste, Économie féministe, Décroissance, Théorie Monétaire Moderne (MMT), Économie Institutionnelle, Marxisme, etc. – qui promet des débats enrichissants. Ce sera peut-être l’occasion de former le noyau d’un nouveau mouvement internationaliste avec une sensibilité pour les questions d’économie politique et de justice globale.

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