«L’ENTHOUSIASME QUI NOUS ANIMAIT AU SORTIR DE LA RÉUNION PRÉSIDENTIELLE A ÉTÉ DOUCHÉE PAR LE MINISTÈRE DU COMMERCE»
Dans cet entretien accordé à «L’AS», le Directeur exécutif de l’Institut Panafricain pour la Citoyenneté, les Consommateurs et le Développement (CICODEV) revient sur la place que doivent occuper l’Agro-écologie et les exploitations familiales lors des futures négociations sur le climat de la Cop 27 en Égypte. Amadou Kanouté aborde également la question de la Couverture sanitaire et de la protection au Sénégal. Non sans déplorer en outre la façon dont le ministère du Commerce fait le suivi de la concertation nationale sur la vie chère.
«L’AS» : Le chef de l’État a accueilli le lundi 26 septembre 2022 les associations consuméristes pour discuter des mesures sociales d’allègement des coûts de la vie, du loyer, entre autres questions. Vous avez été de la partie avec des propositions concrètes. Pouvez-vous revenir sur la thérapie de votre organisation pour alléger la souffrance des Sénégalais ?
Amadou KANOUTE : Comme par hasard, CICODEV avait mené une enquête sur l’effectivité de la baisse des prix des denrées de première nécessité en avril-mai 2022. Soit 2 mois après l’annonce du Chef de l’État lors du Conseil des ministres du jeudi 24 février 2022 de sa décision de baisser les prix des denrées alimentaires afin de soulager durablement les ménages sénégalais face à la hausse des prix des denrées (huile, riz brisé non parfumé, sucre). Nous avons donc profité de la Réunion présidentielle pour présenter les résultats.
Que révèle l’enquête ?
– Que l’effectivité de la baisse des prix n’est pas avérée sur le terrain – Que les différents stades de commerce s’accusent mutuellement de ne pas respecter la décision de baisse de prix et donc ne peuvent l’appliquer – Que les consommateurs sont désemparés et disent à 65% ne pas avoir connaissance des organes, centres, lieux de dénonciation de la non-application des baisses des prix – Que l’État n’atteint pas son objectif de soulager les ménages défavorisés en renonçant à des ressources ; -97 milliards de francs CFA en l’espace de 6 mois (septembre 2021 à février 2022). Face à ces constats CICODEV a fait les recommandations suivantes : – Mettre en place un système de mercuriales et l’homologation des prix avec un contrôle des prix renforcé et vigoureux de l’effectivité des décisions ; – Doter le ministère du Commerce de moyens de surveillance des marchés en favorisant l’engagement communautaire ; – Renforcer les moyens d’action des associations de consommateurs pour faire des enquêtes et un suivi des prix et la gestion des réclamations des consommateurs ; – Créer un espace de dialogue politique entre les acteurs économiques pour casser l’asymétrie de l’information entre eux. Celle-ci pourrait être sous une forme similaire à celle d’aujourd’hui et se tenir le 15 mars de chaque année qui marque la journée mondiale des consommateurs. Les décisions prises par le Chef de l’État à l’issue des échanges prennent en charge la majeure partie de nos recommandations. Et nous nous en réjouissons.
Y a-t-il de l’espoir, selon vous ?
L’enthousiasme qui nous animait au sortir de la Réunion présidentielle a été douchée par la prise en charge faite par le ministère du Commerce de lancer les concertations avec les acteurs pour mettre en place les commissions en impliquant certains d’entre eux et d’autres non. Cette démarche a nui à l’esprit d’inclusivité qui avait irrigué la démarche du Chef de l’État quand il a invité tous les acteurs sans exclusive au Palais pour recueillir nos points de vue sur comment lutter contre la cherté de la vie. Par ailleurs, les 19 et 21 septembre dernier, vous avez été convié à une rencontre à Addis-Abeba pour réfléchir sur comment l’Afrique pourrait peser dans les prises de décision lors des prochaines négociations de la Cop27 en Égypte.
Pensez-vous que l’Afrique est toujours reléguée au second plan lors de cet évènement ?
La rencontre d’Addis-Abeba se fixait pour objectif de placer l’Agro-écologie et les exploitations familiales au cœur des futures négociations sur le climat. Votre question prend tout son sens quand on pense que ces acteurs et thématiques sont souvent poussés derrière les rideaux de l’événement au profit de la grande messe et de la communication. La réunion d’Addis-Abeba avait été organisée par AFSA – l’Alliance pour la Souveraineté Alimentaire en Afrique. Elle avait pour objet de clarifier et de mieux appréhender la position de l’Afrique aux prochaines négociations sur le climat- COP 27- qui se tiendront en Égypte. Pour ce faire, AFSA a créé un espace de dialogue qui a regroupé tous les acteurs du climat (acteurs gouvernementaux, les négociateurs africains, les communautés économiques régionales (CEDEAO, SADC, COMESA, etc.), la société civile, les organisations paysannes, pastorales, environnementalistes, consommateurs, institutions de recherche, etc. Le résultat, c’est que les négociateurs institutionnels africains et les autres segments de la société africaine ont pu échanger, démontrer avec des exemples et expériences concrets venant du terrain ; ce qui nous a permis de nous comprendre, de nous donner des pistes pour consolider la position qui ressort des échanges avec deux messages : – l’agro-écologie est la meilleure voie pour l’Afrique pour l’aider à s’adapter aux changements climatiques, en mitiger les effets et aller vers la souveraineté alimentaire et le développement durable. – Les exploitations familiales sont les premiers acteurs porteurs de cette voie ; donc ne pas leur accorder la reconnaissance appropriée dans les prochaines négociations serait une grosse erreur.
Comment évaluez-vous le secteur de l’agro-écologie au Sénégal ?
Difficile à évaluer en termes quantitatifs comme le nombre d’exploitations qui s’y adonnent, les volumes et quantités produites, etc. Par contre, sur le plan de la reconnaissance de ce mode de production, aussi bien le terrain que les développements au plan institutionnel nous laissent entrevoir une percée extraordinaire de l’agro-écologie ces dernières années. Je veux citer entre autres les avancées suivantes : l’agro-écologie est reconnue comme le 4e pilier du PSE vert ; et deux ministères dans le nouveau gouvernement portent dans leur dénomination des libellés qui sont sous-tendus par l’agro-écologie. Il s’agit du ministère de l’Agriculture qui s’est vu rajouter le concept de souveraineté alimentaire ; et celui de l’Environnement, du Développement durable qui s’est concrétisé avec le rajout de la transition écologique. Ni l’une ni l’autre de ces missions ne peut se matérialiser sans passer par l’agro-écologie. Sur le terrain, l’acceptation ou le retour des exploitations familiales vers l’agro-écologie est une tendance lourde même si nous n’avons pas encore cherché à la quantifier. (…) Quant à la société civile, elle s’engage pleinement à propulser et animer la concrétisation de la vision de l’agro-écologie. Elle s’est regroupée dans une vaste coalition regroupant des organisations nationales et internationales d’environnementalistes et paysannes, des maires, des organisations de consommateurs, de chercheurs qui ont lancé la Dynamique pour la transition agro-écologique au Sénégal (Dytaes) et qui travaillent pour donner corps à cette transition. La Dytaes a produit un document de contribution qu’elle a formellement remis au Chef de l’État pour alimenter la démarche du PSE Vert vers l’agro-écologie. Le foncier agricole constitue pendant ce temps un vrai problème.
Que faudrait-il pour sécuriser les agriculteurs ?
Pour sécuriser les agriculteurs, il faut une gouvernance foncière centrée sur la personne et non sur l’investisseur privée qui peut acquérir des centaines voire des milliers d’hectares de terres au détriment de la petite exploitation familiale. Pour cela, il nous faut retourner à l’esprit de la Loi sur le Domaine National de 1964 : la terre appartient à la nation et sa gestion est confiée à l’État et ses démembrements. Je dis bien « confiée » ! Cela veut dire que ni l’État ni les collectivités territoriales encore moins les investisseurs privés ne sauraient se l’approprier sans un consentement et des conditions préalablement discutés et acceptés de toutes les parties prenantes. Tout ceci se trouve dans le Document de Politique Foncière que la défunte Commission Nationale de Réforme Foncière a remise au Chef de l’État. Cette soumission n’a jusqu’à ce jour pas été suivie de prise en charge. CICODEV mène en outre beaucoup d’actions dans le domaine de la santé. Elle suit de très près la politique de l’État sur la question et particulièrement la Couverture maladie universelle.
Pensez-vous que c’est un succès ou un échec ?
Passer d’un taux de couverture des citoyens contre le risque maladie de 20% en 2013 à 53% en 2022 – selon les chiffres officiels – ne peut être qualifié que de succès. Même si les réalités sur le terrain montrent encore des écueils à surmonter. Aujourd’hui, le gouvernement a décidé d’aller vers la Couverture Sanitaire Universelle. Ceci veut dire ne plus seulement se focaliser sur les citoyens et à soigner la maladie mais travailler sur tous les autres déterminants de la maladie, déterminants compris comme ce qui cause la maladie, comme les comportements (sédentarisme, fumer, l’hygiène, l’accès à l’eau et l’assainissement, à l’éducation, la nutrition, etc.). Vous en devinez les défis : c’est le financement pérenne, c’est la coordination et la cohérence entre tous les départements ministériels qui ont en charge ces secteurs, c’est la redevabilité sur les actions menées pour tendre vers la CSU.
Comment trouvez-vous globalement le système de protection Sociale de l’État du Sénégal ?
Le gouvernement, à travers la Délégation Générale à la Protection Sociale, a développé une stratégie claire pour conduire la politique de protection sociale. C’est un choix fort ambitieux et volontariste de déployer la protection sociale sur le cycle de la vie : de la naissance à la mort. C’est pourquoi nous avons la CMU, la prise en charge gratuite de certaines pathologies, les Bourses de sécurité familiale, la Carte Égalité de Chances, l’alimentation scolaire. Vous devinez évidemment que le problème est comment financer tout cela de manière pérenne ? Et surtout le financement sur les ressources domestiques. A cela, il faut ajouter l’ancrage institutionnel de la protection sociale. C’est une politique transversale, tout comme la CSU. Donc les loger comme des directions générales dans un ministère comme le Développement communautaire pourrait leur ôter la force et la légitimité dans la préséance gouvernementale dont elles ont besoin pour dérouler une mission qui traverse et implique presque toute la surface gouvernementale.