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LES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS ET NOUS

La dernière publication de la Banque Mondiale sur la situation du Sénégal intitulée « Pour une croissance durable et résiliente : Renforcer les écosystèmes entrepreneuriaux suite à la pandémie » (septembre 2022) m’a invité à réfléchir sur notre compagnonnage avec les institutions de Bretton Woods datant du début des années 80.

La première réflexion concerne la nécessité de ramener l’indicateur (le taux de croissance économique) à un niveau plus modeste concernant la mesure du progrès réel des économies africaines qui ne sont pas ou peu industrialisées et en tous cas n’ayant pas réalisé la transformation de leurs économies. Pour cause, ces dernières sont confinées à un niveau primaire caractérisé par un secteur agricole peu performant, une industrie peu compétitive centrée sur des produits standard à faible valeur ajoutée, une base exportatrice constituée de matières premières (extractives brutes) avec comme conséquence un volume d’emplois faible et une pauvreté sans cesse croissante. Ainsi, avoir une augmentation d’une telle base économique d’année en année n’est pas synonyme de bond qualitatif mais plutôt d’augmentation de quantité ou de prix plus favorables sans lendemain.

En effet, après environ 42 ans de présence des institutions de Bretton Woods dans notre pays, le sentiment est qu’on se trouve dans une sorte de « surplace économique » et de dégradation des conditions de vie sociale. Il reste bien entendu que ces institutions n’arrivent dans un pays que lorsqu’elles sont sollicitées, du fait de gestions budgétaires non orthodoxes.
Ça a été le cas au Sénégal, lorsque la cessation de paiement était avérée en 1979 et qu’il fallut remettre le pays sur les bons rails économiques pour retrouver des équilibres budgétaires sectoriels pérennes.

Depuis lors, nous sollicitons l’appui de ces partenaires pour des appoints de trésorerie ou des prêts longs à taux concessionnels. En contrepartie, en bons banquiers voulant s’assurer du bon remboursement de leurs créances, ils font des revues, des études d’activités pour mesurer la bonne santé économique et financière des pays débiteurs.
Dans ces revues, une attention particulière est réservée à l’évolution des taux de croissance et leurs déterminants, mais aussi au niveau d’endettement des pays permettant de jauger la capacité à rembourser.

Concernant le Sénégal, les taux de croissance enregistrés depuis 40 ans n’ont jamais atteint les deux chiffres (environ 7 % à 8 % en moyenne) et, de surcroît, la taille de l’économie étant relativement faible par rapport à nos voisins comme le Ghana, la Côte d’Ivoire et, surtout, le Nigéria (3,4 % de taux de croissance en 2021), dont le PIB annuel est 687 milliards $ contre 24,91 milliards $ de PIB et 6,1 % de taux de croissance en 2021 pour le Sénégal.

Par rapport au différentiel de taux de croissance supra entre le Sénégal et le Nigéria, se situant à près de 2,6%, il est utile de rappeler qu’un point de croissance n’a pas la même valeur de richesse additionnelle compte tenu de la différence de taille des économies.

Toutefois, malgré un écart abyssal de niveau de PIB, les structures économiques des deux pays sont quasi similaires en ce qu’elles sont toutes assises sur l’exportation de matières brutes pas ou peu transformées (le pétrole pour le Nigéria) avec un faible niveau de transformation industrielle.

C’est pourquoi la progression d’un taux de croissance économique de 1 ou 2 points pour une base de PIB faible, non centrée sur l’industrie et l’exportation à forte valeur ajoutée, n’a pas l’effet d’entrainement nécessaire pour la transformation de l’économie caractérisée par des interdépendances sectorielles allant de l’agriculture aux services en passant par l’industrie.
La seconde réflexion se rapporte à la bonne utilisation de la dette lorsque la structuration de l’économie reste essentiellement tournée vers l’exportation de matières premières. Quelle est la pertinence des choix d’investissements lorsque les « retours » en revenus marchands et leur part relative dans le PIB peinent à être mesurés ?

Selon le rapport de la Banque Mondiale, en effet, « Le recours à l’endettement joue un rôle essentiel pour le  développement, mais des niveaux insoutenables fragilisent la croissance et pénalisent les pauvres. À condition d’être bien gérée, transparente et utilisée dans le cadre d’une politique de croissance crédible, la dette peut être un levier. Mais ce n’est que trop rarement le cas. Un endettement public élevé peut freiner les investissements privés, accroître la pression budgétaire, réduire les dépenses sociales et limiter les capacités du gouvernement à mettre en œuvre des réformes ». La notion de croissance crédible gagnerait à être explicitée, sauf s’il s’agirait d’une question de traduction.

Sénégal, une dette qui  représente 75 % du PIB !

L’institution constate ainsi que la dette est rarement bien gérée et, par conséquent, limite les capacités budgétaires des Etats emprunteurs. Elle poursuit en affirmant que « Plus de la moitié des pays bénéficiant de l’aide de l’IDA sont surendettés ou au bord du surendettement » et que par conséquent la priorité devrait « être mise sur la gestion et la transparence de la dette pour que tout nouvel emprunt contribue à la croissance et l’installation d’un environnement propice à l’investissement ».

Le stock de dette du Sénégal s’élève à près de 75% du PIB, ce qui revient à dire que toute la richesse produite durant l’année 2021 a une contrepartie en dette égale à 75 % !
Toutefois, l’institution s’empresse de précise que « Le Sénégal continue de présenter un risque modéré de surendettement extérieur et global, avec une marge limitée pour absorber les chocs à court terme », ce qui revient à dire que des marges supplémentaires d’endettement sont disponibles.

La dette, bien qu’ayant atteint un niveau d’alerte, reste encore soutenable selon la BM sans pour autant que les revenus générés par les investissements y relatifs ne soient appréhendés par une analyse face à face qui devrait être exigée dans les revues économiques.

Quelle pertinence accorder à un calcul de taux de croissance non relié à un développement industriel et à une diversification économique sources de transformation structurelle?
A ce stade, il est légitime de s’interroger sur le niveau de PIB à partir duquel cette dette ne sera plus considérée comme « soutenable », si l’on sait que notre pays est dans une spirale qui le fait s’endetter pour financer le déficit budgétaire par emprunt obligataire sous-régional, rembourser des échéances arrivées à maturité (Eurobonds), ou « reprofiler » le stock restant en remplaçant par simple écriture comptable les emprunts libellés en dollars (pouvant générer des frais financiers lourds du fait d’une modification du taux de change) par des emprunts en euros ou autre monnaie plus stable.

D’autres points sont évoqués dans ce rapport, parmi lesquels la faiblesse du secteur privé sénégalais et la nécessité de mettre à contribution les institutions financières pour le soutien aux PME, sans pour autant aller jusqu’à la proposition de création de banques ou d’institutions financières spécialisées ou autres fonds de garanties spécifiques pour les PME.

Le rapport, sur cette question du financement PME, se passe de commentaires. « Le système bancaire reste vulnérable vis-à-vis de la concentration de ses prêts à un nombre limité de grandes entreprises, au détriment d’un financement plus diversifié de PME » écrivent les auteurs du rapport. Il faut juste déplorer l’absence de suggestions et de conseils de leur part pour combler cette insuffisance.

En définitive, nous avons le sentiment que les rapports de la Banque Mondiale n’en disent pas assez sur le « trend » de l’économie et les caps à franchir vers l’émergence et le développement. Les indicateurs utilisés ne renseignent pas à suffisance sur l’état de notre économie.

Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les populations ne croient au taux de croissance comme source de bien-être social, surtout lorsque l’essentiel de la création de richesse sert à rembourser des dettes n’ayant pas contribué de façon directe à la création d’emplois, mais plutôt à financer des infrastructures à faible impact sur l’accroissement des ressources financières publiques.

Le taux de croissance ne se mange pas ! disent les populations de façon lapidaire. Les institutions financières devraient, à notre sens, tenir compte de la nécessaire inclusion de l’Afrique dans le concert des nations industrialisées.

En la réalité, la mondialisation a spécialisé l’Afrique dans l’approvisionnement en matières premières essentielles au profit du monde occidental, avec la concurrence de plus en plus vive des pays asiatique et des BRICS.

Or, l’avantage comparatif de l’Afrique ne réside pas uniquement dans la dotation en ressources naturelles indispensables au bon fonctionnement de l’économie mondiale, il relève aussi des potentialités d’une jeunesse prompte à s’approprier les technologies les plus abouties, pour autant que la promotion du capital humain dont on parle au détour d’un paragraphe soit érigée en priorité.

L’Afrique digitale est déjà une réalité avec des applications en rapport avec les besoins des populations.
La priorité actuelle donnée aux routes, ponts et autres infrastructures sportives devrait être étendue à la formation des jeunes dans les nouvelles technologies, sources futures de création de richesse pour l’Afrique.

 Il est donc temps d’en finir avec la tyrannie de ces indicateurs, le taux de croissance en particulier, parés de toutes les vertus et porteurs de toutes les solutions. Des indicateurs qui, tels qu’appliqués sur nos situations économiques, renseignent peu sur leur état structurel et les voies de transformation à explorer pour le développement économique et social de nos pays.

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