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VIE ET MORT D’UNE RELATION SINGULIÈRE

La relation de la France avec son « pré carré africain » est singulière, très militarisée. Elle a été instituée pendant la période coloniale, s’est poursuivie malgré la décolonisation et a été modelée par la Vème République. Le « père » de cette République, le Général de Gaulle, voyait la grandeur de la France dans la combinaison de la puissance militaire et industrielle. Les territoires colonisés par la France ont dès le début eu une place spéciale dans ce mécanisme censé redonner au pays « sa place et son rang » dans le monde. À leurs indépendances, en 1960, Paris a mis en place des dispositifs militaires, économiques, monétaires (maintien du franc CFA), etc. pour conserver son influence. En 1977, le ministre des Affaires étrangères Louis de Guiringaud a résumé la situation dans les termes suivants : « l’Afrique est le seul continent qui soit encore à la mesure de la France, à la portée de ses moyens. Le seul où elle peut encore, avec cinq cents hommes, changer le cours de l’Histoire. »

Jusqu’à la fin des années 2010, des dizaines d’opérations militaires ont imposé et maintenu la Pax Gallica dans le « pré carré ». Il y a eu de fortes contestations : au Cameroun dans les années 1960, en Côte d’Ivoire au début de ce siècle. Elles ont été fortement réprimées. Dans un silence médiatique assourdissant. Des intellectuels africains comme Mongo Beti, Ousmane Sembène, ont consacré leurs vies à la dénonciation de cette relation. Des associations ont documenté ses dérives. La Françafrique, dont la mort est annoncée à coups de discours présidentiels depuis François Mitterrand mue sans cesse pour maintenir les mécanismes de domination.

Depuis cinq ans, il y a une contestation populaire de la puissance française en Afrique. Au Sahel, où « la guerre contre le terrorisme » est perdue, la force Barkhane est perçue comme une armée d’occupation. Il y a quelques jours, au Burkina, le putsch contre le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba s’est appuyé sur une mobilisation en partie alimentée par l’évocation d’une collusion de l’armée française avec lui. Au Mali, le pouvoir renouvelle sa légitimité en se posant comme le rempart contre la domination de Paris. Le gouvernement français met cette défiance — taxée de « sentiment antifrançais » — sur le compte de la propagande des Russes et des Turcs. Cette explication, outre de manquer de respect pour les manifestants africains, vise à se dédouaner de ses propres responsabilités.

Depuis plus d’un demi-siècle, la France se distingue en Afrique par un militarisme qui contraste avec l’évolution de ses parts de marché industriel. Son déclassement industriel se fait face à la Chine ou la Turquie, mais aussi par rapport à l’Allemagne. En 2000, les montants des exportations françaises et allemandes vers l’Afrique étaient équivalents. Deux décennies plus tard, celles de l’Allemagne sont supérieures de 40 %. Le modèle gaulliste de projection de la puissance française est conçu pour marcher sur deux pieds : le militaire et l’industrie. Là, manifestement, il en manque un et la puissance militaire a montré son… impuissance. Il faut mettre fin à ce système qui ne bénéficie qu’à quelques multinationales ainsi qu’à des élites africaines. Il faut inventer un modèle de coopération mutuellement avantageux, qui rend aux Africains tous leurs instruments de souveraineté. Les peuples africains et français en sont demandeurs.

Article préalablement publié dans le journal français l’Humanité.

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