LE BIEN INCOMPRIS
Au Sénégal, malgré une campagne de vaccination gratuite contre le cancer du col de l’utérus depuis 2018, des parents hésitent encore à faire vacciner leurs filles, convaincus à tort de sa nocivité.
La polémique sur la nocivité du vaccin du col de l’utérus qui concerne les filles âgées de 9 à 14 ans ne recule pas au Sénégal. Ce sujet préoccupe bon nombre leurs parents. Car en dépit de la grande campagne de vaccination et de communication initiée par l’Etat du Sénégal qui encourage vivement la vaccination des adolescentes, ce vaccin est loin de faire l’unanimité. Bintou Ndiaye, cette mère de famille est catégorique. Pas question de vacciner sa fille. Pour cette ménagère, elle soutient avoir lu sur les réseaux sociaux que : « des effets indésirables graves sont attendus pour ces filles qui se font vacciner comme la stérilité. C’est pourquoi je n’ai pas donné mon autorisation à l’école pour que ma petite fille soit vaccinée »
Comme elle, une autre dame qui préfère garder l’anonymat, remet en cause l’efficacité et l’innocuité du vaccin censé protéger du cancer du col. Elle reste prudente pour le moment. « Certes, je n’ai pas de raisons très valables mais je ne suis pas convaincu du vaccin. Donc, ma fille sera dispensée » ; argue-t-elle. Un motif de refus qui n’est fondé que sur des fausses informations distillées à l’ère des réseaux sociaux, analyse ce père de famille. Daouda Mbow qui a une fille âgée aujourd’hui de 6 ans est, par contre, convaincu par ce vaccin. Il est clair : « lorsque ma fille aura 9 ans, elle se fera vacciner ».
Les papillomavirus humains (HPV), virus responsable du cancer du col de l’utérus appartiennent à une famille de virus comptant plus de cent variantes. Les conséquences d’une infection peuvent, selon le type de papillomavirus, aller des verrues génitales aux cancers. Plus de 99 % des cancers du col de l’utérus sont provoqués par une infection chronique par papillomavirus.
Taux de vaccination faible
Au Sénégal, sur une cible de 200 000 préadolescentes à protéger contre le cancer du col de l’utérus au Sénégal, seules 40% ont été atteintes selon le coordonnateur du PEV au Sénégal Dr Ousseynou Badiane. Il informe que le débat sur le vaccin contre le papillomavirus a commencé dès son lancement en Octobre 2018 car il y a eu : « beaucoup de polémiques ici au Sénégal. Ce qui a causé une crise après le lancement de la vaccination. Il y avait beaucoup de fakes news et beaucoup de réticences ». Et pourtant, le programme avait réussi à prendre le dessus sur cette campagne de désinformation à travers une bonne sensibilisation auprès des populations cibles au début. Le spécialiste en santé publique assure que : « on avait pu atteindre notre objectif qui était de vacciner au moins 90% des filles qui ont été ciblées. On avait eu une couverture de 94% ».
Mais c’était sans compter avec l’apparition du premier cas de Covid-19 au Sénégal en mars 2020. Avec son lot de restrictions comme le confinement, la pandémie a plombé tous les efforts selon Dr Ousseynou Badiane « puisqu’on avait demandé aux gens de rester chez eux ».
La journaliste Marie Rosalie Ndiaye qui anime « Allo Docteur », une émission dédiée aux questions de santé publique à Sud Fm, la première radio privée du Sénégal confirme. Elle déclare que : « la campagne de vaccination n’a pas beaucoup attiré surtout du côté des parents. Cette fois-ci la réticence ne se trouve pas seulement sur les parents illettrées même les personnes instruites étaient réticentes. C’était dû au fait que dès le début de cette campagne, la communauté scientifique ne parlait pas le même langage par rapport aux résultats du vaccin. Il y a certains médecins notamment en Europe et aux Etats Unis qui disaient qu’il faut être prudent pour le moment. Avec la Covid-19 et tout ce qui tournait autour de son vaccin, cela a renforcé la réticence ».
Ce taux national est similaire à celui de la région de Louga (677 533 habitants), une localité située à 166 Km de Dakar, la capitale. Le médecin-chef de la région de Louga Cheikh Sadibou Senghor fait le point : « à Louga, les performances ne sont pas fameuses. Au niveau de la région, nous sommes à 40% au moment où je vous parle avec des disparités au niveau des districts. Par contre, à Kébémer et Dahra, les performances se sont améliorées car il y a eu un bon plan de communication qui a été mis en place et une collaboration avec l’inspection d’académie ». Pour le médecin, les parents n’ont pas donné l’autorisation de vacciner leurs enfants. C’est la raison principale. « Habituellement, il faut que les parents donnent leur autorisation pour ces filles puissent être vaccinées. Et ça, il y a eu beaucoup de désinformation au niveau des réseaux sociaux. Beaucoup de personnes ont donné des informations concernant cette vaccination qui peut entrainer la stérilité chez les jeunes filles », explique-t-il. Il ajoute que : « la vaccination contre la Covid-19 a été un frein contre le virus responsable du cancer du col de l’utérus qui constitue un taux de mort extrêmement élevé puisque en réalité les signes liés à la présence du cancer du col de l’utérus n’apparaissent que lorsque c’est pratiquement trop tard. Ce qui veut dire que la prévention est très importante ».
L’école et les relais communautaires comme alternative
La plus importante partie de cette campagne se déroule dans les écoles où les cibles sont présentes. C’est pourquoi le ministère de la santé travaille de concert avec celui de l’éducation nationale. A l’école du camp Abdou Diassé de Colobane, la vaccination est très prise au sérieux selon le directeur de l’établissement. Birame Sylla parle d’un taux de vaccination très satisfaisant : « on est autour de 75% de filles déjà vaccinées. Elles sont généralement en classe de CM1 et CM2. En tant que directeur, je demande l’avis des parents. Par principe, je n’accepterai jamais qu’une fille soit vaccinée sans l’aval de ces parent. En cas de refus, je ne mets pas la fille sur la liste des enfants à vacciner. C’est la sage-femme du l’infirmerie du camp qui se déplace pour venir vacciner les filles après un recensement fait par nos soins ».
Cette situation contraste avec celle constatée à l’école Mbaye Ndir située dans le département de Rufisque. Mme Diallo en charge de la coordination du comité de santé de cette école nous explique que : « on avait reçu une commande de l’inspection de l’éducation et de la formation de Rufisque qui nous avait demander de recenser toutes les filles âgées de 9 à 14 ans. Ce que nous avons fait mais il n’y a pas eu de suivi. Finalement, la vaccination ne s’est pas faite dans cette école. »
A Thies, l’une des régions les plus peuplées du Sénégal, la contribution des « Bajenu Goox » (marraines de quartier) n’est pas négligeable dans la sensibilisation. Selon Adja Fatou Badiane, Présidente des Bajenu Goox de Thies, ces relais communautaires sont : « très impliquées dans cette campagne. Les Bajenu Goox procèdent au recensement des filles dans la fourchette d’âge de 9 à 14 ans dans les quartiers afin de sensibiliser les parents sur l’importance de ce vaccin à Thies ».
Pour l’heure, la prévention reste le moyen le plus efficace pour se prémunir du « papillomavirus humains » (HPV), virus responsable du cancer du col de l’utérus, qui se transmet par voie sexuelle. S’il n’est pas détecté à temps, il peut se transformer en lésions précancéreuses et évoluer en cancer du col utérin. C’est pourquoi il faut insister sur une bonne campagne de communication selon la journaliste Marie Rosalie Ndiaye qui regrette que : « les rares fois où on parle de ce vaccin, c’est à l’approche des journées dédiées alors que ça devait être fait de façon continue. Les parents même oublient puisque les autorités en parlent peu »
A côté de ces efforts du gouvernement, la Ligue Sénégalaise Contre le Cancer (LISCA) qui est un acteur clé arrive à jouer sa partition dans ce combat. Ce sont ces efforts conjugués qui rendent optimistes les autorités sanitaires qui assurent que les actions sur le terrain vont finir payer. Car il est noté que la confiance s’améliore, et les refus s’amenuisent.