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DÉBAT SUR LE FUTUR DU FRANÇAIS AU MALI, UN PAYS QUI COMPTE 70 LANGUES

L’opportunité d’étendre ce statut à certains des nombreux idiomes davantage utilisés au quotidien que celui de l’ancien colonisateur resurgit cycliquement depuis que le Mali, vaste mosaïque de groupes humains, a accédé à l’indépendance en 1960.

La question s’est reposée avec la présentation en octobre d’un texte qui pourrait devenir la nouvelle Constitution du pays.

Les langues n’occupent qu’un des 195 articles de ce document présenté par la junte militaire au pouvoir comme une des réformes cruciales pour sauver le pays confronté à la propagation jihadiste et à une multitude de crises. Mais cet article a ranimé une ancienne discussion sur les plateaux télé et au « grin », forum informel où les Maliens échangent sur tout autour d’un thé.

« Est-ce normal que, 60 ans après l’indépendance, le français soit notre seule langue officielle ? », demande un Bamakois, Ali Guindo, devant sa résidence du quartier Torokorobougou de Bamako. « On a beaucoup de langues ici au Mali, ce serait bien de les ancrer dans notre culture officielle ».

Plus de 70 langues sont parlées au Mali, 13 ont été reconnues langues nationales, et une seule, exogène, le français, est officielle, rappelle Amadou Salifou Guindo, spécialiste de sociolinguistique. Le français est utilisé dans l’administration, sur les panneaux de circulation, à la télévision d’Etat, mais très peu dans la rue à Bamako, et encore moins en brousse.

Les langues vernaculaires, parlées par des millions de personnes pour certaines, lient des communautés enracinées dans leurs territoires: le sonrhaï et le tamashek dans le nord, le fulfulde (peul) au centre, le bamanankan (bambara) dans le sud et à Bamako, le senoufo et le soninké encore plus au sud…

Question identitaire

Les rédacteurs de l’avant-projet constitutionnel proposent de rehausser leur rang. Comme dans la Constitution de 1992, « le français est la langue d’expression officielle », stipule l’article 31. Mais les langues locales « ont vocation à devenir des langues officielles ».

Le débat ravivé « montre que les Maliens souhaitent que les langues maliennes occupent une plus grande place dans la sphère publique », assure le linguiste Guindo. Le français est un héritage colonial comme dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest, où des populations très jeunes remettent en question la relation avec la France.

Sur fond de ruptures abruptes avec l’ancienne puissance dominante depuis l’avènement des militaires, un certain nombre de voix se sont emparées de l’article 31 pour réclamer d’en finir avec le français et faire par exemple du bamanankan, le plus usité, la langue officielle. Mais plus que le souverainisme en vogue, le débat pince une corde identitaire sensible.

Le Mali a déjà essayé de faire des langues locales les principales langues d’enseignement à l’école sous le régime autoritaire de Moussa Traoré (1968-1991). Patatras: faute d’investissements de l’Etat, ces écoles expérimentales sont devenues des « écoles de seconde catégorie » aux yeux des parents et des enseignants, déplore Ismaïla Samba Traoré, écrivain et éditeur. Il se demande comment on a pu « faire le choix aussi révolutionnaire que de faire entrer les langues nationales à l’école et ne pas mettre les moyens qu’il faut ».

Sujet de crispation

Les langues vernaculaires restent enseignées, à petite échelle. A la faculté des langues de Bamako, Mahamadou Kounta, directeur des études, donne des cours de bamanankan à une vingtaine d’étudiants.« Quand nos étudiants sortiront, ils sauront écrire et lire les langues nationales, ils pourront à leur tour travailler à les perpétuer », assure-t-il.

Dans son bureau des éditions La Sahélienne, Ismaïla Traoré y croit lui aussi. Depuis 1992, il est un des seuls à éditer des livres en langue locale.

Nombre de livres en langue vernaculaire restent des ouvrages pédagogiques commandés par des ONG internationales. La littérature malienne demeure élitiste. Et l’éditeur admet qu’il ne suffira pas d’une nouvelle législation pour changer les usages: « Certains processus ne se définissent pas à coup d’humeur, il faut laisser l’incubation se faire ».

Comme depuis que le débat a cours, les mêmes interrogations sont fourbies sur la praticabilité d’employer dans les administrations ou les tribunaux des langues plus orales qu’écrites, ou sur la capacité de l’Etat à réformer un système éducatif délabré. Et la question des sensibilités communautaires demeure.

Certes, les auteurs de l’avant-projet constitutionnel ont adopté une « formulation dynamique » pour, souligne l’un d’eux sous couvert de l’anonymat, « éviter toute forme de crispation ».

Mais le sociolinguiste Guindo laisse entendre que tous ceux qui parlent le fulfulde par exemple ne sont pas forcément prêts à voir officialiser le seul bamanankan de l’élite bamakoise. Le débat « montre que les Maliens ont peur qu’une langue officielle soit imposée au détriment des autres », met-il en garde.

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