LA FERVEUR POUR LE MONDIAL EST MITIGÉE DANS LE MONDE ARABE
Du Maroc au Liban, en passant par l’Egypte, les amoureux du ballon rond n’ont pas tous les moyens d’assister au tournoi dans le riche émirat du Golfe, qui débute dimanche et se refermera le 18 décembre.
« Les coûts de logement et de transport sont exorbitants », fustige Makram Abed, un supporter tunisien qui gère un groupe sur Facebook réunissant 40.000 fans des Aigles de Carthage, l’une des quatre équipes arabes qualifiées, avec l’Arabie saoudite, le Maroc et le Qatar. La première nation arabe à accueillir l’événement « aurait pu proposer des prix préférentiels » au public de la région, estime-t-il, alors que la plupart de ces pays font face à des difficultés économiques exacerbées par la guerre en Ukraine.
Les Coupes du monde ont certes toujours été destinées à un public relativement aisé, différent de celui des rencontres de clubs, rappelle l’historien spécialiste du football, Paul Dietschy. Mais le Qatar ayant misé sur un tourisme de luxe, le Mondial-2022 « renforce ce caractère particulier », ajoute-t-il.
« Une vraie atmosphère »
Même en Arabie saoudite, première économie de la région, les prix au Qatar font grincer des dents. « Il faut prendre un prêt pour assister aux trois matchs des Verts », ironise Mohannad, un étudiant saoudien de 25 ans qui ne donne pas son nom.
Selon la Fifa, la plus grande part des près de trois millions de billets vendus ont été achetés par les résidents du pays hôte. Deux autres pays arabes figurent parmi les dix principaux acheteurs : l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, où la tradition du football est pourtant plus récente qu’ailleurs dans le monde arabe.
La pratique du ballon rond s’est développée dans la péninsule arabique dans les années 1970, bien plus tard qu’au Levant ou au Maghreb sous influence britannique ou française.
En Egypte, les premiers clubs ont vu le jour au lendemain de la Première Guerre mondiale et la popularité des deux géants cairotes, Zamalek et Al-Ahly, dépassent largement les frontières nationales. Dans cette nation passionnée de football, des fans assurent qu’ils iront à Doha même si leur équipe ne s’est pas qualifiée.
« Les vols pour le Qatar coûtent deux fois moins cher » que pour la Russie, pays hôte en 2018, se réjouit l’Egyptien Amr Mamdouh, qui compte en profiter pour visiter d’autres pays du Golfe.
Les centaines de vols navettes mis en place entre le Qatar et ses voisins durant le tournoi sont une aubaine pour de nombreux supporters arabes, notamment pour les milliers d’entre eux installés dans les riches Etats pétroliers de la région.
Fadi Bustros, Libanais résident à Dubaï, à une heure de vol de Doha, fera l’aller-retour pour une journée, comme beaucoup de ses amis expatriés. Entre les polémiques sur les droits humains et les dates inhabituelles du tournoi, en hiver, ce fan de football s’inquiète toutefois de ne pas y trouver « une vraie atmosphère de Coupe du monde ».
Deux tendances
Au Maroc, les autorités ont annoncé des vols subventionnés à environ 760 euros, mais cela ne suffit pas à convaincre Yassine, un supporter de 34 ans ayant assisté au Mondial-2018.
Le Marocain avait acheté des billets pour les matchs des Lions de l’Atlas, avant d’être découragé par les règles « restrictives » du pays conservateur, où divertissements et accès à l’alcool restent limités. « Une Coupe du monde est synonyme d’une belle ambiance, de rencontres humaines, d’insouciance, de fête, le Qatar ne répond pas à ces critères », regrette-t-il.
Pour son compatriote Wassim Riane, 38 ans, qui lui aussi avait fait le déplacement en Russie, le Qatar est « un pays sans histoire footballistique qui n’a pas une culture de célébration ».
L’historien Paul Dietschy distingue deux tendances dans la région : d’un côté, « un football populaire qui attire les foules » comme au Maroc, en Irak, en Syrie ou en Algérie, et de l’autre, des pays où ce sport est « davantage un spectacle qu’on regarde à la télévision » ainsi qu’un outil de « soft power », à l’instar du Qatar.