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REVISITER LES DOGMES DE LA STRATEGIE AMERICAINE DE SECURITE EN AFRIQUE

Dans une semaine s’ouvre, à Washington, le sommet américano-africain. Le communiqué de la Maison-Blanche qui l’annonce évoque une occasion pour les Etats-Unis d’Amérique et l’Afrique de redynamiser leurs partenariats: « ce sommet démontrera l’engagement durable des Etats-Unis d’Amérique envers l’Afrique et soulignera l’importance des relations entre les Etats-Unis et l’Afrique et d’une coopération accrue sur des priorités mondiales communes. »

Le sommet de 2014 organisé sous l’ère Obama était le premier dans l’agenda diplomatique américain et avait pour thème : « Investir dans la prochaine génération ». En invitant à Washington, presque une décennie après, les chefs d’Etats africains, le Président Biden entend amorcer une dynamique nouvelle dans ses relations avec le continent noir, en faisant cette fois-ci une place plus importante au commerce et à l’investissement. Il faut dire que jusqu’à une date plus ou moins récente, les interventions américaines sur le continent africain se résumaient à des urgences humanitaires post-conflit, ou sanitaires, avec notamment l’initiative du Président G.W. Bush de mobiliser 48 milliards de dollars pour faire face à la pandémie du sida en Afrique.

Durant tout son magistère, le Président Trump n’a pas visité l’Afrique. En effet, l’Afrique n’a jamais représenté pour lui une priorité stratégique. Pire, il a toujours assumé son désintérêt vis-à-vis du continent. Son épouse, Melania Trump, s’est contentée de visiter en 2018 quelques projets de l’USAID au Ghana, au Malawi et en Egypte, orientés vers la promotion de la santé et le bien-être des enfants, avant de terminer sa visite en terre africaine dans une réserve naturelle kényane où elle a donné le biberon à des éléphanteaux.

Pourtant, le vote parle congrès américain de la loi sur la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA) en 2000 traduisait déjà une volonté de développer les échanges commerciaux avec l’Afrique en permettant à plus de 6000 produits d’accéder au marché américain en franchise des droits. Au lendemain du sommet de 2014, le Congrès avait modernisé et prolongé jusqu’en 2025 la durée de ce programme de promotion des échanges commerciaux, auquel 40 Etats africains sont éligibles.

Une mobilisation de 8,8 milliards de dollars depuis 2004

Pour booster la croissance économique en Afrique, un fonds de développement bilatéral, le Millennium Challenge Corporation, a été mis en place avec la mobilisation d’un financement de 8,8milliards de dollars depuis 2004 dans 25 pays africains. Dotée d’un montant de 500 millions de dollars sur 5 ans, l’initiative Prosper Africa, qui a été lancée en 2020, vise à soutenir les entreprises africaines qui cherchent à pénétrer le marché américain, riche de 330 millions d’habitants et d’un PIB de 23 000 milliards de dollars. Prosper Africa met à la disposition des pays africains un guichet unique qui leur fournit une panoplie de services en matière de commerce et d’investissement. L’initiative américaine Power Africa vise à promouvoir les investissements dans le secteur de l’électricité en Afrique en injectant plus de 30000 mégawatts d’énergie propre et à fournir de l’électricité à plus de 60 millions de ménages et entrepreneurs africains.

Ces initiatives économiques majeures (AGOA, MCA, Prosper Africa) de l’administration américaine en direction de l’Afrique marquent un tournant important dans la coopération américano-africaine. Le Président Biden mise également sur la zone de libre échange continentale pour stimuler une croissance économique plus forte en Afrique.

En 2021, les importations américaines en provenance de l’Afrique étaient estimées à 37 milliards de dollars (vs 23,7 milliards de dollars en 2020). Les biens commerciaux africains exportés aux Etats-Unisse sont chiffrés à 26,7milliards au cours de la même année (vs 21,9 milliards de dollars en 2020). Même si les échanges commerciaux entre les deux continents ont beaucoup progressé au cours de la dernière décennie, il n’en demeure pas moins qu’ils restent globalement faibles, comparés aux exportations chinoises en Afrique estimées à 114 milliards de dollars en 2020 (un pic de 155 milliards de dollars a été noté en 2015).

Perspectives heureuses avec le partenariat américano-africain

Des perspectives heureuses se dessinent dans le partenariat américano-africain, notamment avec les nombreuses découvertes pétro-gazières dans le continent noir et la nécessité, pour le gouvernement fédéral des Etats-Unis, de diversifier ses sources d’approvisionnement en hydrocarbures et de réduire la dépendance énergétique de ses alliés au gaz russe, dictée par la conflagration née du conflit armé russo-ukrainien.

Lors de la publication récente de la Stratégie de sécurité nationale des Etats-Unis en octobre 2022, le secrétaire d’Etat Antony Blinken s’exprimait en ces termes: « elle expose une vision d’un monde libre, ouvert , sûr et prospère et un plan global pour la réaliser. Ce n’est pas seulement notre vision, mais une vision partagée par de nombreux autres pays qui cherchent à vivre dans un monde qui respecte les principes fondamentaux de l’autodétermination, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique ; où les pays sont libres de déterminer leurs propres choix en matière de politique étrangère ; l’information est autorisée à circuler librement; les droits de l’homme universels sont respectés; et l’économie mondiale fonctionne sur un pied d’égalité, offrant des possibilités à tous. »

La nouvelle stratégie de sécurité nationale fixe les grands axes de la coopération américaine en Afrique, notamment dans le domaine de la sécurité. Elle évoque aussi l’impérieuse nécessité de surmonter la ligne de démarcation entre la politique intérieure et la politique étrangère américaines, en raison des imbrications parfaites entre les deux. C’est pourquoi l’administration Biden œuvre à mettre en place une armée toujours plus moderne et plus puissante pour protéger les intérêts vitaux des Etats-Unis, en empêchant le déclenchement de conflits dans le monde qui pourraient les impacter. C’est ainsi qu’elle soutient les efforts des régions et pays africains qui font face à des conflits politiques, à des agressions de groupes terroristes et à des crises humanitaires comme le Cameroun, le Nigéria, la République démocratique du Congo, l’Ethiopie, le Mozambique, la Somalie ou encore le Sahel.

Pourtant, les dogmes de la stratégie des Etats-Unis d’Amérique en Afrique reposaient jusqu’ici, comme le rappelle avec justesse Maya Kandel, sur le concept de « light footprint » (empreinte légère), l’absence d’engagement direct pour les militaires américains, un leadership en retrait et une intervention par partenaire interposé.

L’annonce du Président Biden sonne la fin d’une politique étrangère américaine longtemps adossée à celle de son allié historique français qui jouit jusqu’ici d’une plus grande influence en Afrique subsaharienne.

Vers une nouvelle coopération sécuritaire

Face aux défis de stabilité actuels, l’administration américaine promeut une coopération sécuritaire pour s’attaquer aux causes structurelles du terrorisme et lutter contre les activités des groupes armés qui sapent la stabilité des Etats africains. Cette nouvelle approche américaine est une aubaine pour l’Afrique, qui est traversée par des crises multiformes : rébellion, criminalité transnationale organisée, terrorisme, grand banditisme, etc.

La République centrafricaine est empêtrée dans des conflits depuis que l’opposition armée de la Séléka s’est emparée de la capitale, Bangui. Elle peine toujours à se relever des démons de la violence malgré la présence de la MINUSCA. Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est tiraillée entre les forces du gouvernement d’union nationale et les forces du maréchal Haftar, qui contrôle l’Est du pays. Le Soudan et le Soudan du Sud se disputent le contrôle de régions frontalières riches en pétrole. L’ancienne rébellion du Mouvement du 23 Mars (M23) a repris les armes dans la province du Nord-Kivu contre les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) qui accuse le Rwanda voisin de la soutenir. A l’extrême Nord de l’Ethiopie, l’armée loyaliste et les rebelles du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) s’entredéchirent. La Somalie a été minée pendant des décennies par des violences tribales avant de céder en 2004 à l’insurrection menée par l’Union des Tribunaux islamiques. Des combattants djihadistes Al Shabab attaquent le Mozambique et menacent la stabilité de ce pays très riche en énergies fossiles. Les activités terroristes de Boko Haram qui en flamment l’Etat du Borno au Nigéria se sont propagées sur les pays frontaliers du Cameroun, du Niger et du Tchad, plongeant ainsi la région du bassin du lac Tchad dans l’œil du cyclone djihadiste. Les groupes armés affiliés à l’Etat islamique et à Al-Qaïda au Maghreb islamique ont transformé la face du Sahel, au point de faire basculer le Mali et le Niger parmi les pays du monde qui ont les indices de terrorisme les plus élevés, selon les données recueillies par le National Consortium for the Study of Terrorism de l’Université du Maryland. Dans le classement 2021 de l’Université nord-américaine, le Burkina Faso occupe le quatrième rang mondial derrière l’Afghanistan, l’Iraq et la Somalie.

Au vu de ce qui précède, il ressort que les impératifs sécuritaires doivent être pris en charge si les Etats-Unis veulent bâtir avec l’Afrique un partenariat économique mutuellement bénéfique. Pour cela, ils doivent s’appuyer sur deux leviers essentiels : AFRICOM et la Force africaine en attente (FAA)

Le Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) est le dernier-né des centres de commandements militaires opérationnels mis en place à travers le monde par le département de la Défense américain. Les intérêts géostratégiques américains limités sur le continent justifient sans doute le placement de l’Afrique sous la tutelle du commandement européen des forces armées américaines basé à Stuttgart en Allemagne. S’il en est ainsi, c’est parce que les pays africains ont gardé avec la France des liens qui laissent aux autres puissances étrangères une marge de manœuvre très réduite en termes de coopération militaire. Alain Fogue Tedom évoque aussi la perception négative qu’ont les Etats-Unis du monopole politique et économique des anciennes puissances coloniales sur l’Afrique. Plus précisément, il estime que la dimension géostratégique de la contestation de la tutelle de la France par Washington est sans ambiguïté, surtout que la libre concurrence politique et économique en Afrique et ailleurs dans le monde était actée depuis la fin de la guerre froide.

Cette prise de position américaine est d’autant plus avérée que l’alliance historique entre la France et les Etats-Unis n’avait pas empêché le Président Biden de torpiller le contrat de fourniture de douze sous-marins à propulsion conventionnelle d’une valeur de 56 milliards d’euros, signé entre la France et l’Australie depuis 2016, et de négocier avec cette dernière un nouvel accord commercial pour la livraison de sous-marins à propulsion nucléaire, conçus à l’aide de technologies de pointe américaines et britanniques. L’annulation du contrat « future submarine programme » avait provoqué une réaction colérique de l’ancien Ministre français de l’Europe et des Affaires Etrangères qui s’est publiquement réjoui, quelques mois plus tard, de la défaite électorale du Premier ministre australien Scott Morrison, qu’il accusait d’avoir unilatéralement rompu le contrat. La défaite récente de l’Australie face à la France lors de la World Cup au Qatar par un score de 4-1, doit également « très bien convenir » à monsieur Jean Yves Le Drian.

Par ailleurs, les Etats-Unis doivent faire preuve de plus d’audace et de cohérence dans leur nouvelle stratégie africaine de sécurité en dotant AFRICOM d’un siège dans un pays africain comme le Sénégal. Un poste de commandement américain plus proche des théâtres d’opérations offre l’avantage de renforcer le sentiment de sécurité de leurs partenaires africains, des Américains établis en Afrique et de conjurer la menace terroriste. Le Trans-Sahara Counterterrorism Partnership (Partenariat Transsaharien contre le Terrorisme) propose déjà un cadre de coopération sécuritaire avec les pays du Maghreb et du Sahel dans les domaines de la surveillance des frontières, de la lutte contre le financement du terrorisme et du renforcement des capacités opérationnelles des forces armées africaines.

L’expertise américaine en matière de médiation internationale a récemment fait parler d’elle avec l’accord historique entre le Liban et Israël sur leur différend maritime frontalier, ayant abouti au partage des gisements gaziers de Cana et de Karish en Méditerranée orientale. La pacification des frontières maritimes communes aux deux pays officiellement en guerre illustre le savoir-faire américain en matière de règlement de conflits, comme ceux qui déchirent l’Afrique. Ce succès diplomatique coïncide avec l’accord de cessation des hostilités conclu à Pretoria entre le gouvernement éthiopien et les rebelles du Tigré, grâce à la médiation du représentant de l’UA pour la Corne de l’Afrique. Ces belles réussites dans la grisaille diplomatique mondiale démontrent que les Etats-Unis et l’UA peuvent peser de tout leur poids pour mettre fin à des conflits meurtriers, trouver des compromis entre les Etats belligérants et les engager sur le chemin d’une paix durable.

La Force africaine en attente (FAA) doit prendre part à la nouvelle stratégie de sécurité outre-Atlantique pour entrer dans une phase opérationnelle vingt ans après son lancement et asseoir un cadre d’intervention militaire mieux adapté et immédiatement opérationnel, afin de faire face aux nombreuses crises sécuritaires sur le continent africain, notamment dans les pays en proie à des oppositions asymétriques.

Shakira interprétait en 2010 l’hymne officiel de la Coupe du monde de football intitulé « This Time for Africa », avec les groupes camerounais Golden Sounds et sud-africain Freshly Ground et magnifiait par la même occasion le pouvoir du football d’unir les peuples autour d’une passion commune.

Le Président Obama avait bien compris que les nouvelles dynamiques en Afrique étaient porteuses de changements qui allaient bousculer les grands équilibres géopolitiques. Sur la tribune de l’Union africaine, cinq années après Shakira, il s’exprimait en ces termes: « Je crois que l’essor de l’Afrique n’est pas seulement important pour l’Afrique, il l’est pour le monde entier. Nous ne serons pas en mesure de relever les défis de notre époque – de la garantie d’une économie mondiale forte à la lutte contre l’extrémisme violent, à la lutte contre le changement climatique, à l’élimination de la faim et de l’extrême pauvreté – sans les voix et les contributions d’un milliard d’Africains. »

Le sommet qui se tient à Washington du 13 au 15 décembre 2022 aura réussi son pari si les Etats-Unis en sortent avec la courageuse décision d’arrimer au nouveau partenariat économique qu’ils veulent promouvoir au cours de de la prochaine décennie, qui s’annonce décisive, une stratégie de sécurité qui place le continent noir et les conflits asymétriques qui secouent la Libye, le Sahel, le bassin du lac Tchad et quimenacent les pays du golfe de Guinée et l’Afrique australe au cœur de leurs enjeux stratégiques majeurs.

May Allah blessthe Africa-USA Summit !

Amadou Tidiane Cissé

Inspecteur principal des douanes

DAKAR

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