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SÉNÉGAL, D’UNE CRISE À L’AUTRE

J’ai regardé la vidéo du député de Benno Bok Yakkar, éructant, la bave aux lèvres, index tendu vers d’autres députés, surexcité, hors de contrôle, et appelant à prendre des cordes et des chaînes pour attacher les mains des opposants et les jeter à la mer pour nourrir les poissons. Et le tout sous le regard impavide du président de l’Assemblée, dodelinant de la tête et au pire soutenant ses propos.

Je ne connais pas ce député de la majorité présidentielle qui appelle au meurtre des opposants je ne souhaite surtout pas le connaître. Ce député a ses références, les cordes et les chaînes renvoient à cette période où des négriers et des chasseurs d’esclaves écumaient les côtes d’Afrique pour alimenter ce sinistre commerce. Dans ses propos, j’ai cru comprendre que si le président Macky l’ordonnait, il mettrait ses projets à exécution. Que Dieu nous garde de ces illuminés.

Un autre, triste individu, a menacé de marcher sur les cadavres des opposants au 3ème mandat de Macky.

Jeudi 1er décembre, on a assisté, sidéré, à ce spectacle odieux d’un député de l’opposition, membre du PUR, giflant une de ses collègues, parce que c’est une femme et qu’elle avait, de surcroît, fait des allusions à son mentor et guide religieux lors d’une séance précédente. La politique et la religion ne font jamais bon ménage. Ce député doit être condamné pour cet acte qui nous ramène à toutes les violences que subissent quotidiennement les femmes sénégalaises.

Désormais, ces jours-ci, les citoyens sénégalais se réveillent chaque matin, attendant les nouvelles, plus lamentables les unes que les autres, en provenance de l’Assemblée nationale, avec un sentiment immense de honte nationale. 

Qu’avons-nous fait pour mériter ça ?

J’ai toujours considéré, comme réactionnaire et relevant d’une analyse déterministe de la société, cette assertion qui dit que toute nation a le gouvernement qu’elle mérite. 

J’ai toujours préféré Alexis de Tocqueville, qui considérait que la Providence n’a créé le genre humain ni entièrement indépendant, ni tout à fait esclave.

Et autour de chaque homme disait-il, il y a certes une fatalité ou, dirions-nous aujourd’hui, des déterminismes sociaux ou de classe, mais ils sont vastes et l’homme est puissant et libre.

Ainsi, les tyrans ne sont grands que parce que les peuples sont à genoux.

Cette institution, l’Assemblée nationale, nous citoyens sénégalais, l’avons gagnée et instituée comme la représentation politique éminente de la nation. Nous avons élu ceux qui y siègent avec nos suffrages.

Mais nous ne sommes pas responsables de leurs turpitudes, de leurs bassesses. Pas en notre nom, mesdames, messieurs. Nos suffrages méritent mieux.

Je pense à tous ceux qui ont bâti la réputation de cette Assemblée, dont la culture politique, l’élégance des propos et la posture républicaine rayonnaient dans ces lieux.

Lamine Guèye, Amadou Cissé Dia, Habib Thiam, Daouda Sow, Cheikh Khadre Sissoko, pour ne citer que ces éminents parlementaires, ont présidé cette Assemblée et ont laissé l’héritage d’un parlementarisme sénégalais inscrit, désormais, comme un des piliers de notre République.

Cette législature a débuté sous de sombres augures, avec des législatives manipulées par le régime de Macky Sall. Ce qui n’a pas empêché qu’il boive la tasse jusqu’à la lie, une totale bérézina électorale.

Et pour la première fois dans notre démocratie, un gouvernement est sans majorité parlementaire avérée. Avec des députés élus, dont la seule consigne, reçue du président lui-même, est une posture de lutteur avec comme chef de meute le griot himself du chef. On a du mal à le comprendre, pour ceux qui croient à un Sénégal moderne affranchi de cette mentalité féodale.

Dans le spectacle offert à longueur de retransmission, mais qui devrait être interdit aux enfants, on entend fuser des insultes si grossières, qu’on doit se pincer pour croire que l’on se trouve vraiment au Parlement sénégalais, siège du pouvoir législatif, à lui confié, par nous citoyens. 

On n’est pas surpris de voir Macky Sall dérouler son programme énoncé auprès de ses militants à Kaffrine en 2015 : « je veux réduire l’opposition à sa plus simple expression. » 

Et dans une asymétrie presque parfaite, une partie des députés de l’opposition veut en découdre, marquer son territoire, pour lui montrer qu’il est minoritaire dans ce pays, même s’il faut, pour cela, transformer l’Assemblée nationale en arène.

On vitupère. On interpelle. On se marque. Il n’y a plus de nuances, le combat est frontal.

C’est le retour du refoulé, pour beaucoup, avec pour seul bagage l’injure, l’apostrophe grossière, l’invective, témoignant de l’oubli de toutes nos traditions et valeurs de tolérance, de respect de l’autre, de tempérance dans les actes, qui fondent la société sénégalaise du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest de ce pays.

On peine à saisir dans les interventions des uns et des autres, un travail de fond dans le débat d’orientation budgétaire et le vote du budget des différents ministères.

On ne débat plus, on ne cherche plus le compromis, qui est l’essence même du parlementarisme, négocier entre groupes parlementaires, dans l’intérêt de la nation.

« Le parlementarisme, c’est la garantie des citoyens, la liberté de la discussion, la liberté de la presse, la liberté individuelle, le contrôle de l’impôt, le droit de savoir ce qu’on fait de notre argent, le contrepoids de l’arbitraire (…) tout cela n’est plus… », disait Victor Hugo dans son pamphlet Napoléon le petit.

À voir notre Parlement actuel, on pourrait penser que ces phrases d’Hugo ont été écrites cette semaine après le spectacle misérable qui nous est offert tous les jours. 

J’ai le sentiment qu’on court tout droit vers une crise de régime.

Sieyès définissait ainsi le principe de la légitimité politique : « le peuple ne peut parler et ne peut agir que par ses représentants. »

Dès lors que le président lui-même, par ses actes et ses consignes aux députés de la majorité ne leur confère aucun rôle dans la conduite des affaires de la nation, mais plutôt les assigne à un rôle de chiens de garde, le moment va arriver où les citoyens de ce pays, au nom desquels on prend les décisions, entrent en rébellion ouverte contre les porte-parole institués.

C’est ce qu’on appelle une crise de la représentation engendrant une crise profonde de la délégation de pouvoirs, donc une crise de régime.

L’inculture politique de ceux qui gouvernent aujourd’hui, les aveugle sur leur capacité à faire le dos rond et rester aveugle devant la crise qui arrive à grands pas, multipliée par les conditions de vie de plus en plus difficiles pour la très grande majorité des citoyens sénégalais.

L’histoire politique de notre pays a connu de multiples crises.

Des crises issues de contextes électoraux comme en 1963, en 1988 et en 1993, et des manifestations et des violences qui ont parsemé la journée du 21 juin 2011 contre les tentatives de Wade de modifier le mode de scrutin et celles de janvier contre le même Wade sur le 3ème mandat.

Et si la crise et les manifestations de mars 2021 ont pris une telle ampleur, c’est qu’elles se conjuguaient avec une véritable défiance vis-à-vis du pouvoir de Macky Sall, la gabegie, la corruption de son clan et la dilapidation des maigres ressources économiques par son régime avec ses marchés publics octroyés presque exclusivement aux firmes étrangères.

Alors, attention à ne pas se retrouver, à force de jouer les apprentis sorciers et à esquiver les réponses aux aspirations démocratiques et sociales de la très grande majorité de notre peuple, face à une situation qu’on n’ose imaginer.

En 1852, au début du dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte, Karl Marx écrivait : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages de l’histoire se produisent pour ainsi dire deux fois, mais il a oublié d’ajouter : la première fois comme une grande tragédie, la seconde fois comme une farce sordide. »

Il appartient aux républicains de dire maintenant Stop.

Il est temps, maintenant, d’arrêter cette machine infernale qui inéluctablement risque de plonger notre pays dans les abysses.

babfall33@gmail.com

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