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UN SOCIOLOGUE ET UN PSYCHIATRE PSYCHANALYSENT L’ASSEMBLEE NATIONALE

Le sociologue Pr Abdou Khadre Sanokho pense que c’est toute la société qui est fautive dans le regain de violence observé dans le pays. L’Assemblée nationale étant une société sénégalaise en miniature, il invite à ne pas seulement incriminer les députés car, selon faire porter le chapeau aux députés serait faire montre d’hypocrisie. Il déplore le fait que les partis politiques n’éduquent plus leurs militants. Au contraire, ils instrumentalisent même certains parmi ceux-ci, notamment ceux qui sont peu instruits, pour en faire des outils de combat.

Aussi, refuse-t-il d’imputer la responsabilité de la violence aux seuls députés qui sont une représentation de la société sénégalaise en miniature. « Foncièrement, il ne faut pas tirer sur les députés et leur faire porter le chapeau. Ce serait faire montre d’hypocrisie que leur faire porter le chapeau. Les députés sont partie intégrante de la société sénégalaise. L’Assemblée nationale, c’est la société en miniature. Ces derniers temps, il y a un quantum de violence dans ce pays. Je ne crois pas que les Sénégalais aient pris le temps de bien voir les profils pour qui ils ont voté. Les gens ne se sont pas appesantis sur cela. Ils auraient dû voir les profils sur lesquels ils allaient porter leurs choix. Aujourd’hui on peut se poser les questions suivantes. Qui est adulé au Sénégal ? Qui fait le buzz dans ce pays ? Qui a des vues sur internet ? Qui est écouté ?Qui constitue une idole ?Qui est une référence ?”, a énuméré le sociologue.

Députés formatés à invective

Selon le sociologue Abdou Khadre Sanokho, ce sont généralement ceux qui insultent, ceux qui ont un langage salace de qui font montre d’une violence langagière inouïe qui tiennent le haut du pavé. Récemment, le professeur agrégé Amsatou Sow Sidibé, Mamadou DIOP Decroix, Bougane Guèye ont été bloqués au niveau des parrainages. Ce sont les Sénégalais qui ont décidé de ne pas les parrainer… Notre interlocuteur se demande donc pourquoi alors vouloir crier sur tous les toits et lyncher les parlementaires. Selon lui, nos compatriotes ont les députés qu’ils méritent puisque c’est eux-mêmes qui les ont élus. Par rapport à l’Assemblée nationale, aussi bien du côté du pouvoir que de celui de l’opposition, on a fait la promotion d’activistes, déplore notre interlocuteur. Les deux camps ont mûrement choisi les profils mis sur leurs listes. Cette posture, indique le sociologue, signifie que si l’opposition attaque, d’autres personnes dans l’hémicycle pourront leur apporter la réplique. Pareil, dit-il, pour l’opposition qui a également mûrement réfléchi sur les profils devant aller à l’Assemblée nationale,surtout pour ce qui est des investitures au niveau des régions. L’opposition a pris des activistes et les a positionnés en position éligible afin qu’ils puissent aller à l’Assemblée nationale. « Depuis que la session budgétaire a commencé, on voit certains qui ont décidé de ne voter aucun budget. L’autre élément, tout le monde l’a dit. Il n’y a pas de gentlemen’s agreement entre l’opposition et le pouvoir. Ce qui fait que les deux camps ne sont pas dans une posture d’adversité mais de haine et d’animosité incarnées par les leaders du pouvoir et de l’opposition, en l’occurrence Macky Sall et Ousmane Sonko. Par rapport à des problèmes crypto-personnels entre ces deux, transposés, d’autres ont porté le combat à travers les militants. Dans un environnement politique, quelle que soit l’adversité, il y a un principe sacro-saint. C’est le respect, la considération et l’empathie. « Nous sommes tous parents. Mais la situation est allée à un niveau tel que ces gens-là se détestent viscéralement. Et cette détestation, on peut la mesurer à travers des faits. Même pour venir au pupitre, chacun essaie de déstabiliser humainement son prochain. On a comme l’impression que les gens font des recherches inouïes pour entacher, détruire moralement leur prochain. Ils semblent oublier que les hommes ou les femmes qu’ils cherchent à détruire moralement ou à entacher sont leurs collègues députés. Si nous faisons le parallélisme par rapport à la société, c’est ce que nous voyons tous les jours au sein de nos quartiers, de nos villes, de nos maisons. Il est temps d’arrête », estime le sociologue Abdou Khadre Sanokho.

Crise civile du citoyen

Et au moment de siffler la récréation, il sera question de faire une introspection. «Nous avons un sérieux problème. Nous sommes véritablement dans une crise et un désenchantement civil du citoyen. Fondamentalement, le Sénégalais est en train de s’éloigner des principes sacro-saints d’humanité et de citoyenneté. En un moment donné, on pensait que la religion pouvait nous sauver. Mais les gens attaquent même nos religieux à tous les niveaux. Il faut condamner peut-être ce que la députée a eu à dire. Mais il faut aussi condamner des partisans de l’opposition qui, pendant un bon bout de temps, ont tiré à boulets rouges sur la sacralité que représentent et que constituent nos marabout », soutient le sociologue.

D’après M. Sanokho, si les gens déplorent qu’on soit en train de descendre les marabouts de leur piédestal, ils doivent s’en prendre à eux-mêmes. «Dans ce pays, on a comme l’impression que si vous êtes un peu imbu de valeurs, vous allez constituer des contre-valeurs pour eux. On fait la promotion de gens qui sont à la fois vils et insignifiants à qui on donne une notoriété et une crédibilité. Et là, il faut accuser les mécanismes de la communication qui donnent leur tribune à des gens qui passent tout leur temps à invectiver », regrette le sociologue. Qui est d’avis qu’au Sénégal, « il n’y a jamais de proposition ou de réflexion. On peut avoir des opinions ou des visions contradictoires mais, on doit les exprimer dans le respect », conseille-t-il.

Pr Sanokho dit avoir aussi constaté une désacralisation de l’humanité et de l’humain dans notre pays. «Nous sommes aujourd’hui dans une crise du contact humain au Sénégal. Les gens ne sont plus dans l’aide ou dans l’écoute active et encore moins dans le soutien. Tout au contraire, ils font tout pour casser l’humain, pour descendre ou rabaisser l’humain. Et pourtant, il y a un proverbe qui dit que le Sénégal est un et indivisible. Nous sommes tous des parents. Hélas, maintenant, c’est des parents, des voisins et des familles qui s’entre-déchirent. C’est ce que nous voyons maintenant dans les partis politiques, et c’est là où il faut évoquer la crise des partis politiques au Sénégal qui ne sont intéressés que quand il y a des compétitions électorales”, déplore encore Pr Abdou Khadre Sanokho.

Or le rôle premier du parti politique, d’après lui, c’est de récupérer des victimes d’une sous scolarisation, d’une sous-instruction, d’une sous éducation. Au sein des partis politiques, il existe un redressement sociétal consistant à donner à ces militants en décrochage une autre forme d’éducation, de civilité et de citoyenneté. Cette option leur permettra de rattraper dans le parti politique ce qu’ils ont perdu, par malchance, dans les maisons ou écoles. Aujourd’hui, dit avec une pointe de découragement le sociologue Sanokho, les partis politiques n’éduquent plus. Pis, ils instrumentalisent le peu de membres éduqués ou peu instruits qu’ils ont pour en faire des outils de combat. « C’est un manque de respect de pouvoir dire à un député, je t’amène à l’Assemblée nationale pour invectiver. Cela, on n’ose pas le faire avec un professeur d’Université, un avocat, un journaliste ou un ingénieur. Parce que ces gens-là, sont d’égale dignité avec les dirigeants des partis politiques. L’enjeu de l’éducation, c’est l’instruction. Et en tant qu’agent de socialisation, devant compléter le rôle de l’alphabet et de l’école, les partis politiques sont complètement passés à côté de leurs missions », a conclu le sociologue.

Pr Aïda Sylla, psychiatre : « L’image du coup pied à elle seule constitue une insulte ! »

La psychiatre Pr Aïda Sylla n’est pas du tout d’accord avec les comportements violents des députés à l’Assemblée nationale. Elle a tenu à exprimer son indignation par rapport à ces scènes récurrentes de violences qui se produisent dans l’hémicycle. Elle estime qu’insulter quelqu’un, c’est l’empêcher de réfléchir. C’est le choquer au point de suspendre pour un temps sa pensée. Pour insulter, explique-t-elle, il faut préférer de manière brutale ce qui est sacré pour l’autre, ce sur quoi il s’origine et /ou se structure. Souvent, c’est nommer les organes qui l’ont procréé, participer ou faire participer d’autres à cette procréation. D’après elle, l’insulteur écorche les figures religieuses qui transmettent des ressources de survie existentielles. « Insulter, c’est aussi beaucoup d’autres choses qui auront en commun d’agresser, de faire sortir de ses gonds. L’insulte aura aussi des répliques comme un tremblement de terre, car repris en écho à l’infini par toute une série de personnes/« insulteuses » et de media « insulteurs ». Cette amplification insultera des proches et des moins proches qui, eux aussi, perdront la tête à l’occasion”, développe Mme Aïda Sylla, psychiatre.

D’après elle, il faut comprendre que l’insulte appelle aussi une réaction disproportionnée chez l’autre, à moins qu’il se soit préparé à recevoir des insultes et développer la réponse adéquate à une insulte et poursuivre la réflexion que l’insulte a tenté de couper. « Je me souviendrai toujours d’un soi- disant syndicaliste qui tentait de semer le désordre dans mon service et qui m’a coupé la parole devant la directrice d’hôpital en m’insultant. Je l’ai laissé finir et j’ai repris calmement mon discours là où je l’avais arrêté et continué jusqu’au bout. Ce alors qu’il était devenu livide et aphone, ayant compris qu’il n’était pas parvenu à me perturber », raconte la psychiatre.

Capacité à invectiver des femmes

Revenant sur l’incident survenu à l’Assemblée nationale la semaine dernière et ayant vu deux députés de l’opposition violenter une élue de la majorité, Pr Aïda Sylla considère que c’était un moment d’un processus de violence qui n’arrête pas de croître. Contrariée, elle affiche sa peur. Cette violence inouïe lui paraît maintenant concertée contre les femmes de ce pays. Cette violence en politique, relève-t-elle, commence par le choix des femmes leaders et va jusqu’aux missions à elles confiées. « Les femmes sont choisies pour leur capacité à invectiver, à faire les clowns et le buzz au sein de l’hémicycle sous le regard de commanditaires sages et bien comme il faut. J’ai entendu un responsable politique, qui revenait sur le parcours de Madame le Premier Ministre Aminata Touré au sein de l’APR, dire que lorsque nous sommes allés la démarcher, nous cherchions une figure féminine. Le PDS avait Aïda Mbodji, le PS Aminata Mbengue Ndiaye… etc. Je crois que ces mots, sincères du reste, nous montrent l’étendue de la tâche qui attend les femmes en politique”, dit sur le mode de la résignation Pr Aida Sylla.

D’après elle, étant des femmes qui partagent quelque part les mêmes contraintes, il est temps d’avoir des passerelles au-dessus de la mêlée. Ce quelle que soit la profession, l’orientation politique ou syndicale. Et ceux qui demandent d’insulter les exposent ainsi aux réactions incontrôlées de ceux qui sont insultés, tout comme ceux qui donnent des coups. Perdant leur tête, ils sont tous violents. Alors, elle indique que, dans le cadre des combats à mener pour la condition de femmes dans un environnement machiste, il serait dommage de gaspiller les ressources et énergies dans des foires d’empoigne qui sont mises en scène pour continuer à les décrédibiliser. Car, au-delà des partis politiques, c’est des femmes qu’il s’agit.

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