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GOUVERNANCE DE LA BIDC, LE SÉNÉGAL POUSSÉ DEHORS

Les décisions de la très controversée 11ème Assemblée générale extraordinaire de Lomé ont déjà été traduites en actes, et le Sénégal ne dirigera jamais la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao. Et pire, son représentant sera éjecté de son poste de Premier vice-président, au profit d’un Ivoirien ou d’un Béninois. Il s’agira maintenant de voir les leviers sur lesquels le pays de la Teranga peut jouer pour exprimer son mécontentement.

C’était attendu, et les conjurés n’ont pas perdu de temps pour passer à l’action. Malgré les vives protestations du Sénégal, le Conseil d’administration de la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao (Bidc) a tenu à mettre rapidement en œuvre les décisions imposées par les actionnaires majoritaires lors de la 11ème Assemblée générale extraordinaire de Lomé, tenue le lundi 13 février dernier. En effet, dès la fin de ladite Assemblée générale, le président du Conseil d’administration, le Cap-verdien Olavo Avelino Garcia Correia, Vice-premier ministre et ministre des Finances et de l’économie digitale de la République du Cap-Vert, et président actuel du Conseil des gouverneurs de la Bidc, a publié une note adressée «à tous les membres du personnel» de l’institution bancaire.

Il y dit notamment que «le Conseil des gouverneurs a examiné les recommandations formulées par le Conseil d’administration au sujet de l’étude sur les réformes institutionnelles de la Bidc, réalisée par le cabinet Mazars Sénégal, ainsi que la feuille de route de sa mise en œuvre». Les délibérations qui s’en sont suivies ont permis d’adopter les mesures léonines que Le Quotidien avait déjà subodorées dans son édition no5995 du mercredi 15 février dernier. Il s’agit notamment de «la création d’une troisième vice-présidence, qui sera chargée du risque et du contrôle, notamment toutes les fonctions de contrôle de deuxième niveau (gestion des risques, conformité et surveillance) et la fonction de Responsable de la sécurité de l’information (Rsi)». Il faut sur ce point, souligner que l’actuelle structure de direction compte notamment un président ghanéen, en la personne de George Agyekum Donkor, et deux vice-présidents dont le premier est le Sénégalais Mabouba Diagne, chargé des finances et services institutionnels. Le second est le Nigérian Olagunju M. O. Ashimolowo, en charge des «Opérations». Le nouveau poste ainsi annoncé, devrait aller au Bénin, pour le récompenser de sa défection et pour s’être rallié au camp majoritaire.

Le pauvre Mabouba Diagne n’a plus d’autre choix que de démissionner en toute dignité, parce qu’il sera de toutes les manières sacrifié. L’accord du 14 prévoit en effet, comme le rappelle M. Garcia Correia, que «les postes de président et de deux vice-présidents de la Bidc seront réservés aux trois actionnaires majoritaires par rotation entre eux, tandis qu’un poste de vice-président et celui du Secrétaire général seront occupés par rotation entre les actionnaires minoritaires conformément aux pratiques internationales». Cela veut dire qu’un candidat ivoirien devrait très prochainement occuper le poste arraché au Sénégal. A ce dernier, il ne restera le choix que de se battre avec les autres petits actionnaires, sur le strapontin de 4ème vice-président ou de Secrétaire général, sans aucun pouvoir réel de décision.

Pour bien acter la forfaiture, le président de l’Ag des gouverneurs précisera : «Le mandat du président et ceux des vice-présidents de la Bidc sont fixés à cinq (5) ans renouvelables une fois. Cependant, le président et les vice-présidents actuellement en fonction achèveront leurs mandats actuels de quatre (4) ans chacun. En ce qui concerne le mandat de cinq ans qui courra à partir de 2024, tout doit être fait dans le respect des Statuts et du Manuel approuvé par le Conseil des gouverneurs. En cas de renouvellement des mandats du président et des vice-présidents actuels conformément aux Statuts de la Banque, ils effectueront un autre mandat de cinq ans.»

Sans rire, le Cap-Verdien ajoutera dans la même phrase : «En œuvrant à la promotion d’une culture de respect des règles, la Bidc se consolidera en tant qu’institution.» L’ironie est que cela est affirmé au moment même où la Bidc marche sur toutes les règles qui l’ont bâtie à ce jour, tout en foulant aux pieds des accords préalablement approuvés par écrit, par tous les chefs d’Etats membres de l’institution ! Pour que les lecteurs du journal Le Quotidien comprennent bien que le putsch annoncé n’est pas une vue née de l’esprit paranoïaque des Sénégalais frustrés, le 5ème point de la lettre circulaire de Olavo Garcia Correia dit : «Dans le souci de renforcer l’efficience et l’efficacité de la réalisation de la mission de la Banque, certaines modifications ont été apportées à l’organigramme de la Banque, qui seront communiquées ultérieurement par la haute direction.» Il va sans dire que lesdites «modifications» concerneront le poste occupé par le Sénégal.

Comme souvent rappelé, le Ghana, le Nigeria et la Côte d’Ivoire détiennent à eux trois, environ 80% des parts de la banque. Le Sénégal, quatrième actionnaire par la taille de son portefeuille, n’a que moins de 9% des actions. Le reste des pays de la Cedeao n’ayant que des parts très insignifiantes. Toutefois, à leurs débuts, les dirigeants africains avaient voulu diriger la Bidc sur des principes d’équité et de justice. Mais l’appétit et les intérêts personnels de certains individus les ont poussés à revenir sur leurs engagements du début.

Aujourd’hui, le Sénégal se retrouve victime de cet «oubli» des principes de solidarité qui ont été à la base de la mise en place de la Bidc. N’ayant pas le pouvoir institutionnel de s’opposer à ce coup de force, les dirigeants sénégalais n’ont même pas la capacité, de par les textes de la Cedeao, de dénoncer la forfaiture en claquant la porte de l’institution. Cela n’empêche pas de croire le Président Macky Sall quand il promet que la gifle ne restera pas impunie, et que «la banque va avoir un sérieux problème de gouvernance».

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