2024 : Ndiaga Sylla, expert électoral, met le doigt sur l’urgence « Au nom du droit fondamental de suffrage »
Le décret n°2023 – 464 du 07 mars 2023 portant révision exceptionnelle des listes électorales en vue de l’élection présidentielle du 25 février 2024 soulève de notre part des interrogations.
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Pourquoi une très courte période d’enrôlement des électeurs pour une élection si importante ? Quel est précisément le délai dont dispose l’électeur pour la saisine du président du Tribunal d’Instance dans le cadre du contentieux prévu à l’article 12 du décret précité ?
Ce questionnement ne découle nullement d’une méconnaissance des dispositions de l’article L.37, alinéa 5 qui autorise le Président d’en déterminer les délais ni des impératifs de consolider le fichier avant la collecte éventuelle des parrainages qui devrait démarrer dans le courant du mois d’août 2023.
A propos de ce dernier point, il est impératif de s’accorder sur une réforme tant souhaitée du système de parrainage même si, en vertu de l’article R.76 – 4, l’arrêté du Ministre chargé des Élections fixant le nombre de parrains requis et la fiche de collecte devra se baser sur l’état du fichier général.Notre interrogation se justifie par la nécessité de respecter et de faire respecter le droit fondamental de vote consacré par les instruments juridiques de portée internationale, régionale et par la Constitution !Il est évident que le retard de la fixation de la date des élections impacte la période de révision exceptionnelle des listes électorales.
Afin de mieux prendre en compte les nombreux primo-votants, il serait judicieux de trouver un consensus sur la concomitance de l’instruction de la carte nationale d’identité et la demande d’inscription. Pour ce faire, il faudra un léger décalage de la période d’enrôlement.Par ailleurs, voilà huit (08) ans que nous ne cessons de prôner l’abrogation ou la modification des dispositions des articles L.29 et L.30 du code électoral ; lesquelles instituent de manière générale, indifférenciée et automatique la d’échéance électorale.
Malgré la position du Conseil constitutionnel émise sur la constitutionnalité du code électoral (Décision n°3-C-2021 du 22 juillet 2021), ma conviction demeure que de telles dispositions violent les droits de l’homme, en ce sens qu’elles remettent en cause le principe de la nécessité des peines énoncé dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme – DHDH, en son article 8 ainsi que le droit de participation garanti par les dispositions pertinentes de l’article 25 du Pacte International des Droits Civils et Politiques – PIDCP.
Au surplus, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, en son chapitre IV art. 4/2 engage les Etats à considérer la participation populaire par le biais du suffrage universel comme un droit inaliénable des peuples. Est-il besoin de rappeler la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme, notamment les arrêts rendus dans les affaires Hirst c. Royaume Uni et Scoppola c. Italie ou encore celle plus éloquente du Conseil constitutionnel français dans sa décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010, l’article L.7 du code électoral contraire à la Constitution.
Celui-ci était quasiment similaire à l’article L.30 du code électoral sénégalais.Il convient de rappeler que, dans un passé récent, le président de la République, Macky Sall, s’est montré ouvert au sujet de la simplification des conditions d’enregistrement des électeurs, précisément lors de la refonte partielle du fichier électoral en 2016-2017 ou plus tard à travers le décret n°2018-476 instituant la révision exceptionnelle des listes électorales.
De plus, son engagement relatif à la restauration du droit de vote et d’éligibilité de Messieurs Khalifa A Sall et Karim M. Wade par une éventuelle amnistie est une preuve que des accords et des compromis peuvent être trouvés dans le but de préserver l’image de notre modèle démocratique, la stabilité et la paix sociale.
A l’occasion de l’atelier de réflexion et d’échanges sur le processus électoral initié récemment par le Collectif des Organisations de la Société Civile pour les Elections (COSCE), nous rappelions, dans ma communication introductive la vertu du dialogue qui conforte « l’exception sénégalaise » et la maturité de notre classe politique, grâce à laquelle notre pays a su entreprendre des réformes majeures, au nombre desquelles compte sans conteste la modernisation du système électoral.
Cette trajectoire tire son origine de l’initiative du président A. Diouf de mettre en place une commission de réforme du code électoral en 1991 dans un contexte marqué par une vague des contestations postélectorales et de crises politiques qui ont secoué la plupart des Etats africains et ont donné le plus souvent lieu à des transitions heurtées. Il y a lieu de souligner que cette commission cellulaire, sous la conduite de Feu le Magistrat Kéba Mbaye, est parvenu à élaborer le premier code électoral consensuel adopté en janvier 1992 et qui est resté en vigueur jusqu’en 2012…
Il revient également aux éminents membres de la société civile et aux régulateurs sociaux de poursuivre leurs efforts pour la facilitation du dialogue politique et aux acteurs politiques d’avoir la volonté d’œuvrer à l’approfondissement de la démocratie en faisant les concessions nécessaires en vue de la définition de règles consensuelles et des élections crédibles, équitables, inclusives et apaisées.
Ndiaga Sylla, expert électoral
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