LA TENTATION DU CHAOS
Bonjour Gilles Yabi, ça fait débat avec Wathi. Une semaine de tensions au Sénégal avec des affrontements entre jeunes et forces de sécurité massivement déployées, des bus brûlés, des tirs de gaz lacrymogènes, des axes paralysés pendant des heures… Après les manifestations de mars 2021 qui avaient fait 14 morts, cette nouvelle flambée de violences, alors que devait s’ouvrir un procès en diffamation de l’opposant Ousmane Sonko inquiète beaucoup à onze mois de l’élection présidentielle de février 2024.
Oui, les images d’émeute ont fait le tour des téléphones au Sénégal, en Afrique et partout dans le monde, relayées par les médias nationaux et internationaux. L’impact de cette nouvelle montée de tension pourrait devenir dévastateur pour la perception du risque politique au Sénégal. Cette perception joue un rôle dans les décisions des acteurs économiques nationaux et étrangers, de tous ceux qui parient depuis des années sur le Sénégal comme pôle de stabilité et de sécurité dans une région ouest-africaine en proie aux coups d’État, au terrorisme et au recul des libertés.
L’élection présidentielle est prévue dans un peu moins d’un an et tout le monde se pose des questions sur ce que nous réservent les prochains mois. L’erreur grave que beaucoup de pays ont déjà commise en Afrique, c’est de penser que la situation sera toujours maîtrisée avant qu’elle ne dégénère en crises violentes, graves et longues. Les acteurs politiques oublient souvent que le fait de ne pas vouloir individuellement plonger leur pays dans le chaos ne signifie nullement que le résultat combiné de leurs actions, et l’usage de tous les moyens pour défendre leurs intérêts, ne sera pas effectivement le chaos.
Vous rappelez ce que vous estimez être les ingrédients de la stabilité politique du Sénégal depuis son indépendance, malgré les épisodes de tensions et de violences qui ont bel et bien existé sans entraîner de rupture institutionnelle…
Oui. Au moment de la commémoration du 60ᵉ anniversaire de l’indépendance du Sénégal, en avril 2020, je disais sur cette antenne que je considérais que le premier ingrédient de la stabilité au Sénégal, c’était « la réalité de l’existence d’un État, la capacité à projeter l’image d’un État présent, organisé, capable de maintenir l’ordre sans apparaître comme un appareil uniquement au service du pouvoir politique du moment ». J’avançais aussi que « les élites politiques sénégalaises avaient jusque-là toujours donné le sentiment de croire à la nécessité de le préserver l’État de graves dérives qui pourraient résulter d’une politisation à outrance des administrations. » J’insistais aussi sur la qualité de la formation des hommes et des femmes qui animaient les institutions publiques, y compris le secteur de la défense et de la sécurité.