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LE FESTIN DES NERVIS

Hommes de main, voyous, bandits, gros bras, tous ces termes peuvent servir à désigner ceux qui sont communément appelés ‘’nervis’’. Dans le milieu des gardes rapprochées professionnelles, la tendance est plutôt de considérer comme nervi toute personne qui s’adonne à des activités liées à la sécurité des personnes ou des biens, sans carte professionnelle. En ces périodes de troubles politiques, c’est plutôt du pain béni pour ces malfaiteurs sans foi ni loi.

14 + 04 + 03 = 21 morts. Voilà le bilan macabre depuis l’éclatement de ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Ousmane Sonko, au mois de mars 2021. Certains, d’après des organisations non gouvernementales, sont imputables aux forces de l’ordre. D’autres, jusque-là non élucidés. Dans ce contexte, l’on parle de plus en plus de l’utilisation de nervis par le camp du pouvoir pour faire face aux manifestants de l’opposition. ‘’Les gars que j’ai entendus semblent déterminés à en découdre, cette fois. Certains n’ont pas hésité à menacer d’aller brûler la maison de responsables de l’opposition en cas d’attaques contre des dignitaires du régime. Ils semblent bien préparés cette fois et se disent prêts au combat’’, souffle une source bien informée.

Ainsi, tout porte à croire que des gens ont été recrutés pour contrecarrer les actions des manifestants.

Dans une vidéo devenue virale, l’on peut apercevoir un pick-up rempli de gros bras qui fonçait sur une foule de manifestants et qui a fini par heurter la tête d’un homme qui fuyait et qui a fini par tomber, après avoir trébuché. Il finira par succomber à ses blessures. Étaient-ce des nervis ? Tout porte à le croire, même si, pour le moment, aucune version officielle n’a été servie.

La présence de ces gros bras communément appelés ‘’nervis’’ ne date pas des événements actuels. Déjà, au mois de mars 2021, il avait beaucoup été question de ces chasseurs de primes. À l’époque, certains dénonçaient un laxisme des forces de défense et de sécurité qui les laissaient opérer librement. Interpellé, cet officier de police confie : ‘’D’abord, il faut prouver qu’ils sont effectivement des nervis. Cela dit, à supposer qu’ils soient des nervis, essayez de vous mettre à la place du policier ou du gendarme. Vous avez en face quelqu’un qui pourrait même vous tuer s’il en a l’occasion. Un autre dont la proie reste celui-là qui vous jette des pierres ou qui essaie de vous tuer. Qu’auriez-vous fait ? Du point de vue de la légalité et de l’orthodoxie, on peut en discuter. Mais parfois, le pragmatisme et le bon sens tout simplement peuvent amener à fermer les yeux. Cela ne veut pas dire qu’on laisse commettre des exactions’’.

Depuis l’annonce d’un nouveau face-à-face entre Ousmane Sonko et la justice, le phénomène semble avoir pris de l’ampleur. On en parle presque un peu partout. Et des noms sont avancés çà et là comme étant les agents recruteurs du pouvoir. Souvent, ce sont les lutteurs qui sont les principales cibles des différents protagonistes.

Dans une sortie récente, le lutteur Gouy Gui, tout en invitant les uns et les autres à ne pas confondre lutteur-nervi et lutteur-garde rapprochée, reconnait l’existence du phénomène. Il déclare : ‘’Il faut savoir que la majorité des lutteurs ont fait une formation en garde rapprochée. Ils ont des attestations signées par le ministre compétent. Même le garde du corps de Sonko, Limousine, en fait partie. D’autres sont avec le pouvoir et il y en a même qui sont avec des chefs religieux. Là, il s’agit des professionnels qui font leur job. Maintenant, à côté de ceux-là, il y a des lutteurs-nervis que l’on recrute pour faire le sale boulot. Moi, je les qualifierais plutôt de ‘deukheuteu’. Il ne faut pas confondre ‘deukheuteu’ et lutteur’’, témoigne-t-il, non sans révéler que lui-même a été approché par quelqu’un qui lui disait qu’il voulait des ‘’boys’’. ‘’C’est le terme qu’il a utilisé, pas celui de nervi, mais j’ai compris que c’est ce qu’il voulait’’.

Si son témoignage a été spontané, d’autres lutteurs ont été nommément cités parmi les agents recruteurs du pouvoir. Parmi eux, il y a Papa Sow, Siteu et Zarco. D’après l’accusation, ils auraient été payés par le fils du président pour faire le nécessaire. Ailleurs, il se dit que ce sont des gens qui sont plutôt rémunérés pour la défense de leur quartier. Tout est ainsi dans la sémantique. Et selon le bord où l’on se trouve.

Depuis Grand-Yoff, le lutteur Zarco reconnait le contact avec le fils du président, mais dément formellement toute idée de recrutement de nervis. ‘’Nous, la seule chose qui nous intéresse, c’est le développement de Grand-Yoff, rien de plus. C’est le seul ‘gatsa-gatsa’ qui nous intéresse. Amadou Sall est effectivement venu ici et est en train d’aider les jeunes de Grand-Yoff. N’a-t-il pas le droit ? Et nous, jeunes de Grand-Yoff, ne méritons-nous pas de recevoir l’appui des autorités de ce pays ? Pourquoi cela ne dérange que quand c’est Grand-Yoff ? Quiconque viendra ici pour nous aider, nous sommes preneurs. Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent. Il n’a jamais été question d’être des nervis de qui que ce soit’’.

Cela dit, Zarco soutient qu’il est hors de question de laisser des gens venir à Grand-Yoff pour semer le chaos. ‘’Si Ousmane Sonko veut des gens qui se battent pour lui, il n’a qu’à aller prendre ses enfants. Nous, nous nous battons pour le développement de Grand-Yoff. Pourquoi ils ont laissé toutes les localités pour venir semer le bordel à Grand-Yoff ? Parce que c’est ici que se trouvent les clochards et les vauriens ? Nous n’allons pas accepter d’être les clochards et les vauriens de qui que ce soit. Nous n’allons pas laisser les gens venir ici semer le bordel, parce que ce sont nos mères et nos enfants qui vont en pâtir’’.

Mais est-ce que les nervis sont uniquement du côté du pouvoir ? Comment qualifier ces manifestants qui détruisent et pillent les biens appartenant à d’autres privés, Sénégalais comme non Sénégalais ? Ceux qui ont tué Doudou Fall dans sa mairie à la Médina, ne sont-ils pas aussi criminels que les gros bras qui étaient dans le pick-up et qui ont tué Gora ?

En tout cas, pour Zarco, les voleurs et les agresseurs sont à chercher dans le camp d’Ousmane Sonko. ‘’C’est Sonko qui est avec les voleurs et des agresseurs. C’est pourquoi ils veulent coute que coute semer le chaos pour mener leur forfait. Grand-Yoff ne peut pas en faire partie. Nous ne sommes ni des voleurs ni des agresseurs et nous n’avons pas besoin de nervis chez nous. S’ils veulent se battre et brûler, ils n’ont qu’à utiliser leurs enfants et aller le faire ailleurs. S’ils veulent marcher en paix, ils peuvent le faire librement’’.

‘’On peut considérer comme nervi toute personne qui fait de la sécurité sans formation et sans carte professionnelle’’

Garde rapprochée, cet agent qui préfère maintenant accompagner les artistes où il y a moins de risques, s’est voulu plus précis dans la définition même qu’il faut donner au concept de nervi. Il déclare : ‘’Il y a beaucoup d’amalgames. Tout le monde parle de nervi sans savoir ce que c’est. Or, on peut considérer comme nervi toute personne qui fait de la sécurité sans formation, ni carte professionnelle. Voilà les nervis et ce sont eux les sources de certains débordements. Quand on est bien formé et qu’on a notre carte, on ne peut tout se permettre.’’

À la question de savoir qui du pouvoir ou de l’opposition recrute des nervis, il rétorque : ‘’Tout le monde peut en recruter. Je t’ai dit que depuis quelque temps, je ne travaille plus avec les politiques, mais seulement avec des artistes. Certains recrutent parce qu’ils ont un événement ; d’autres recrutent pour contrecarrer leurs adversaires. Selon l’objectif que l’on recherche, on peut privilégier soit des professionnels soit des nervis. Tout le monde sait comment marche ce pays.’’

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