DÉFENDRE LA DÉMOCRATIE, NOTRE BIEN PUBLIC
Le Sénégal traverse l’un des plus sombres moments de son histoire politique. Jamais dans son histoire politique, le pays n’a connu autant de répressions, d’arrestations et de morts du fait des pratiques dictatoriales du régime. S’il existe un domaine dans lequel le président Macky Sall a triomphé ces dernières années, ce serait bien l’injustice. Rester silencieux encore longtemps face à cette injustice serait d’une culpabilité pire que la violence des armes.
Paraphrasons le point de vue de Martin Niemöller sur la lâcheté des intellectuels allemands qui observaient, sans rien dire, le pouvoir nazi éliminer les opposants, un à un.
Quand ils sont venus chercher les journalistes, je n’ai rien dit, parce que je ne suis pas journaliste.
Quand ils sont venus chercher les activistes, je n’ai rien dit, car je ne suis pas activiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je ne suis pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les membres du parti Pastef, je n’ai rien dit, je ne suis pas de Pastef.
Puis, ils sont venus me chercher, et il n’y a plus personne pour protester.
Le régime de Macky Sall n’est pas sanguinaire comme le pouvoir nazi, mais il fait tout ce que font les dictatures : réduire les voix discordantes en silence par tous les moyens.
Résister à loi de la force
Le gouvernement est censé assurer la stabilité, l’ordre et la sécurité des personnes et des biens. Cependant, à chaque fois qu’il vous dit que « force doit rester à la loi » c’est pour appliquer la loi de la force. On substitue la force à la loi en manipulant les autorités administratives, judiciaires et policières qui sont censés faire respecter la loi.
Dans beaucoup d’autres situations, on manipule les lois pour cibler et réduire au silence les critiques. Les lois les plus instrumentalisées incluent la loi sur la diffamation, le délit d’offense au chef d’État, les lois sur le terrorisme qui assimilent les discours politiques et les manifestations à des troubles à l’ordre public, et même des actes terroristes. Telles qu’elles existent actuellement, la loi sur la diffamation et la loi portant offense au chef de l’État sont des violations flagrantes de la liberté d’expression. Elles le sont d’autant plus qu’elles prévoient des peines de prison, et mêmes des conditions d’inéligibilité pour les condamnés. Ces lois sont archaïques et doivent être abolies, purement et simplement.
La plupart des Sénégalais auraient souhaité pouvoir défendre leurs droits constitutionnels, y compris celui de protester pacifiquement, sans jeter une seule pierre. On peut s’indigner face aux destructions matérielles au cours des manifestations, mais il ne faut surtout pas oublier que la démocratie sénégalaise est un bien public. Elle vaut beaucoup plus que les objets et infrastructures matériels. La démocratie a permis de préserver des vies humaines ainsi que les libertés politiques sans lesquelles Macky Sall n’aurait jamais accédé au pouvoir. Devrions-nous nous abstenir de toute réaction lorsque Macky Sall et son gouvernement passent leur temps à saccager ce bien collectif pour lequel des hommes et des femmes se sont combattus au péril de leurs vies ?
Légitimité perdue
Le régime de Macky Sall est légal, mais il n’est plus légitime compte tenu des répressions et des carnages financiers successifs perpétrés en toute impunité.
Jamais dans l’histoire, le Sénégal n’a connu un chef d’État aussi impopulaire. On ne peut pas être aussi impopulaire et vouloir conserver le pouvoir par tous les moyens. C’est politiquement immoral et dangereux pour la paix et la sécurité dans le pays.
L’affaire de diffamation par laquelle on cherche à faire condamner l’opposant Ousmane Sonko à tout prix pour qu’il ne participe pas à l’élection présidentielle de 2024 risque d’être la tentative d’élimination de plus. Cet épisode pourrait sonner le glas du régime. Ousmane Sonko libre et actif dans l’opposition serait moins dangereux pour le gouvernement que sa condamnation et son exclusion de la prochaine compétition politique.
Moda Dieng est professeur agrégé en études de conflits, Université Saint-Paul, Ottawa, Canada.