AMADOU BA, UN METRONOME POUR L’ORTHODOXIE REPUBLICAINE
La nomination d’un Premier ministre, en fin de semaine dernière, en la personne de monsieur Amadou Ba, met fin à une période de neuf mois depuis l’annonce du retour de cette station dans l’arsenal institutionnel du Sénégal. C’est un épisode qui s’est fait dans la mesure et la civilité républicaine, pour rappeler que malgré le chaos vécu à l’Assemblée nationale lors de l’installation de la quatorzième législature, notre République repose sur des socles solides bien que les vents de l’anarchie et du chaos, drapés d’une surenchère nourrie d’un sentiment patriotique faussement mûri, peuvent la faire tanguer par moments. Elle tangue, elle tangue mais ne coule pas, pour paraphraser la devise d’une ville. Heureusement pour nous.
Les formations de gouvernement dans notre pays ont pris ces deux dernières décennies, les tournures d’un grand jeu de chaises musicales ou d’un mercato politique. Les gouvernements sont passés au peigne fin pour mesurer les représentativités régionales, les permutations, les entrées et sorties. Le traitement et le commentaire médiatiques en viennent à faire vivre ce jeu trivial et à s’en accommoder. La table du Conseil des ministres est ainsi assimilable à un banquet dont les chaises sont allouées sur fond de «régionalisme», de représentativité sociale et économique, d’influence douce ou subtile des chefferies religieuses. Rien n’est plus gauche que l’exercice de descendre systématiquement des ministres déchus pour chercher des qualités d’immaculés à leurs remplaçants.
Ce jeu a par le passé eu ses conséquences et il est bien que pour le récent remaniement, les vieux démons ne soient pas venus habiter les lieux et les esprits. C’est dans ce pays que des drapeaux ont été brûlés quand des circonscriptions se sont senties lésées après la formation de gouvernement ou des tronçons du réseau routier national barrés. C’est dans ce pays également que des communautés spécifiques ont fustigé les gouvernements pour ne pas avoir de représentant à la table. On se surprend à avoir peur qu’un jour, le jeu des identités et des appartenances finisse par pousser dans notre pays, l’émergence d’une forme de pacte tacite comme au Liban où la formation des gouvernements, les nominations aux hautes stations étatiques et le partage du pouvoir tout bonnement obéissent à des lignes religieuses et confessionnelles. Le service à sa nation est l’une des plus belles missions qui soient, il serait dangereux de laisser une place à des subjectivités autres que le mérite professionnel et/ou politique influer le choix de ceux qui se doivent d’être au service de tous.
L’actuel Premier ministre, Amadou Ba, sera attendu dans sa capacité d’instiguer et d’insuffler toute une dynamique nouvelle dans son équipe gouvernementale sur le service. L’instigation est vue ici au sens théorisé par Bertrand de Jouvenel dans son essai De la politique pure, c’est-à-dire que l’acte premier de toute politique chez un individu, repose sur le fait de faire faire quelque chose à quelqu’un. C’est par sa capacité d’instigation que le nouveau chef du gouvernement, dans une logique de rupture et d’un nécessaire retour à une orthodoxie républicaine, imposera à toute son équipe, une démarche faite d’écoute, d’anticipation et surtout de souci consciencieux à la chose publique. Les mots, qu’ils avaient communiqués lors de sa passation de services en quittant le ministère des Affaires étrangères sur la loyauté qui ne devrait jamais être de circonstance, sonnent toujours forts. On ne peut que nourrir l’espoir qu’il insufflera à toute son équipe, l’impératif de servir du mieux ce pays pour le bien de toutes ses populations.
Le ministre de l’Economie sortant, Amadou Hott, avait l’audace (bien que fustigé çà et là) dans son Cabinet de s’entourer de la meilleure expertise qu’offraient des jeunes sénégalais, n’hésitant pas à les débaucher un peu partout dans le monde pour les inviter à servir dans le public. Espérons que l’exemple qu’il aura cherché à susciter fera tache d’huile et inspirera davantage de ministres nommés par le Président Macky Sall. Quand on lit certaines indignations de manitous de nos réseaux sociaux sur le «mauvais choix de carrière» d’une Oulimata Sarr qui aurait choisi de servir son pays en quittant le «confort» douillé et la sécurité d’emploi d’une organisation internationale, on peut se dire qu’il faudra énormément d’efforts pour redorer le blason du service public dans notre pays. Aux grandes missions, il faut des hommes à la hauteur. «L’histoire enseigne aux hommes les difficultés des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir», disait Jean Jaurès.