Un carnage financier aux multiples ramifications
La mauvaise gestion des fonds de riposte au Covid ne saurait être imputée qu’aux seuls Directeurs des affaires générales et de l’équipement épinglés par la Cour des comptes. Les ministres de tutelle et le Trésor public sont aussi concernés
Le tollé et l’incompréhension suscités par la gestion du Fonds de riposte et de solidarité (Force Covid-19), ne désemplissent toujours pas au Sénégal. Alors des interpellations émanent de presque tous les acteurs (société civile, mouvements citoyens, classe politique surtout de l’opposition) invitant les autorités à donner une suite judiciaire à cette scabreuse affaire de détournement de l’argent public, des voix s’élèvent à contrario pour indexer toute la chaine de responsabilité dudit carnage financier. Pour celles-ci, la mauvaise gestion relevée par le rapport de la Cour des comptes «ne saurait être imputée qu’aux seuls Dage (Directeurs des affaires générales et de l’équipement». Comme l’a expliqué en long et en large un ancien pair qui confie que les responsabilités dans ces manquements sont partagées entre les Dage, les ministres de tutelle et te Trésor public.
Les responsabilités du carnage financier en pleine pandémie de Covid-19, relevé par le rapport de la Cour des comptes sur la gestion du fonds de riposte et de solidarité (Force Covid) vont au-delà des Directeurs des affaires générales et de l’équipement (Dage), principaux incriminés dans cette affaire. L’avis est d’un ancien Dage qui a requis l’anonymat. Interpellé par Sud Quotidien sur les manquements relevés par le rapport de la Cour des comptes et incriminant certains Dage des ministères, notre source pointe une série de violations des textes dans la gestion desdits fonds. Et selon lui, la responsabilité « ne saurait être imputée qu’aux seuls Dage ». En effet, pour cet ancien fonctionnaire qui a capitalisé dix ans d’expérience à ce poste sous la direction de six ministres, cette situation découle d’une violation des procédures étables en la matière traduite par la circulation de l’argent liquide pourtant banni par la réglementation qui exige le paiement par chèque de toute dépense dont le montant est supérieur à 100 000 F Cfa.
«C’est difficile de croire qu’un Dage a pu faire lui seul toutes ces choses à l’insu de son ministre»
Poursuivant son explication, notre interlocuteur précise que la responsabilité juridique des Directeurs de l’administration et de l’équipement dans ces manquements ne saurait décharger les ministres de tutelle mais aussi le Trésor public. « Dans les ministères, le plus souvent, c’est le Dage qui assure la gestion des crédits alloués au département. Le ministre lui délègue ce pouvoir par arrêté. Et, c’est ce qui fait que, juridiquement, c’est lui qui est responsable en cas de manquements dans la gestion desdits crédits. Car, toute instruction qu’il reçoit de son ministre ne peut être que verbal. Autrement dit, cette instruction n’engagera pas la responsabilité du ministre en cas de problème », a-t-elle renseigné. Avant de faire remarquer : « Maintenant, avec cette histoire des fonds Covid, la nature des montants en jeu, comment ils ont été gérés, c’est difficile de croire qu’un Dage a pu faire lui seul toutes ces choses à l’insu de son ministre. Car, je rappelle que dans chaque ministère, il y a un Secrétaire général dont le travail consiste également à vérifier la bonne utilisation des fonds et à rendre compte au ministre, au-delà des rapports périodiques sur l’évolution de la gestion des crédits et projets que le Dage présente au ministre».
«Si le Tresor public n’avait pas autorisé ces décaissements en espèces, on n’aurait jamais…»
Poursuivant son explication, notre interlocuteur engage également la responsabilité du Trésor public dans ces manquements. En effet, souligne-t-il, le Trésor public pour avoir autorisé le décaissement des montants au-delà de la limite plafonnée par le ministère des Finances, est en grande partie responsable de cette situation. « Le Trésor est en grande partie responsable de cette situation parce que s’il n’avait pas autorisé ces décaissements en espèces, on n’aurait jamais assisté à cette circulation d’argent liquide. Car, comme l’a rappelé la Cour des comptes, cela n’aurait jamais dû arriver parce que le Trésor fonctionne comme une banque. On n’avait pas besoin, en violation de la loi, d’aller prendre de l’argent en espèces pour le déposer dans une banque. Le Trésor aurait dû remettre des chèques ou procédé à des virements bancaires que de donner de l’argent liquide ».
Réforme du mode de nomination du Dage
Loin de s’en tenir-là, notre interlocuteur plaide, pour éviter un tel scandale encore, le retour à l’orthodoxie dans la nomination mais aussi une dépolitisation de la fonction du Dage. Sous ce rapport, il préconise le retrait de la prérogative de nomination du Dage par le ministre comme cela se fait au niveau des Agences nationales où l’Agent comptable particulier (Acp) est nommé directement par le ministre des Finances. « Si nous voulons en finir avec les problèmes de la mal gouvernance des ressources publiques, nous devons dépolitiser la fonction de Dage comme on l’a fait avec les Acp (Agent comptable particulier) au niveau des agences ». Et de renseigner : « Nommé par le ministre des Finances, le directeur de l’Agence ne peut lui donner aucune instruction sauf une réquisition. Si le directeur lui demande de faire une dépense qui n’est pas prévue, l’Acp peut refuser d’exécuter. Dans ce cas, le directeur peut lui faire une réquisition écrite. Dans ce cas, l’Acp est obligé de s’exécuter, mais en gardant la réquisition pour prouver au besoin que c’est le directeur qui lui a demandé de faire cette dépense », ajoute encore notre source qui préconise tout simplement une réforme dans la nomination des Dage. « Il faudrait peut-être dans les réformes à venir, que les Dage dans les ministères soient nommés parmi les sortants de l’Ena (Ecole nationale d’administration –ndlr) de la hiérarchie A. Je n’ai rien contre les écoles privées supérieures où il y a beaucoup de diplômes qui circulent mais il faut qu’on revienne à l’orthodoxie d’avant. Que les Dage soient nommés directement parmi les sortants de l’Ena par le ministre des Finances ou par une autre autorité qui n’est pas le ministre. Si le Dage n’était pas nommé par son ministre, il serait peut-être beaucoup plus indépendant dans sa gestion. Car, il faut rappeler que c’est le ministre qui, en plus de le nommer à son poste, lui a aussi délégué par arrêté la gestion des crédits. Alors que rien n’interdit à ce ministre de confier la gestion des crédits à quelqu’un d’autre que le Dage dans son département ».
Pour la dépolitisation de la fonction du Dage
Au-delà des réformes dans la nomination des Dage, notre source préconise également la dépolitisation de la fonction du Dage. En effet, selon lui, toutes les dérives qu’on constate, aujourd’hui, sont en partie liées à l’engagement politique des directeurs généraux qui ont, avant tout, des militants à entretenir. « Tout le problème est que chaque ministre qui vient cherche un Dage qui, non seulement, est issu de sa région généralement mais aussi fait de la politique. C’est ça qui est dangereux puisque quand vous gérez, vous devez être loin de la politique », a fait remarquer notre source en donnant son propre exemple. « Moi, j’ai occupé ce poste pendant 10 ans et sous six ministres mais je n’ai jamais fait de la politique. Jamais mon ministre de tutelle ne s’est intéressé à la gestion. D’ailleurs, je me rappelle les premiers audits de l’Armp entre 2007 et 2008 quand le nouveau code des marchés de 2007 a été pris, il avait été déclaré champion de la bonne gouvernance par la presse. Donc, c’est quelqu’un quand même qui ne m’a jamais dit : fais ça, fais ceci, donne ça. Une fois qu’il m’a délégué le crédit en début d’année, il suivait bien naturellement, il demandait des explications tout simplement parce que quand il y aura un audit, c’est lui, le ministre qui sera cité alors que c’est le Dage qui a géré ».