À PROPOS DES RAPPORTS DE LA COUR DES COMPTES
À propos des rapports de la Cour des comptes à rendre publics sur le fondement du point 6.7 de l’Annexe du Code de Transparence dans la Gestion des Finances publiques
La Chambre des Affaires budgétaires et financières de la Cour des comptes a rendu public son rapport définitif, daté du 19 août 2022, consacré au contrôle de la gestion du Fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid-19 au titre des gestions 2020 et 2021. Il ressort du site internet de la juridiction des comptes que la publication du rapport en question est faite en application des dispositions du point 6.7 de l’Annexe de la loi portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques[1].
Nous reviendrons dans un autre article sur le décret n° 2020-884 du 1er avril 2020, pris en violation de la loi organique relative aux lois de finances, qui est à l’origine des nombreuses irrégularités relevées par la Cour dans l’exécution des dépenses du Fonds précité.
Une seule question sera abordée ici : celle du champ d’application du point 6.7 de l’annexe du Code précité qui mérite d’être précisé. À cette occasion, nous tenterons d’identifier les catégories de rapports que la Cour transmet au président de la République, à l’Assemblée nationale et au gouvernement. Ensuite, nous parlerons de la question de l’organisation et du suivi des recommandations en direction du ministre de la Justice sur des faits susceptibles d’être qualifiés d’infractions pénales et, accessoirement, du cadre légal/règlementaire des communications entre la Cour des comptes et les autorités judiciaires qui est à définir.
Quels sont les rapports que la Cour transmet au président de la République, à l’Assemblée nationale et au gouvernement ?
Le point 6.7 de l’Annexe du Code dispose : « La Cour des comptes rend publics tous les rapports qu’elle transmet au président de la République, à l’Assemblée nationale et au gouvernement »[2].
Prise au mot, l’expression « tous les rapports qu’elle transmet au président de la République, à l’Assemblée nationale et au gouvernement » semble renvoyer à tout rapport transmis à ces trois pouvoirs publics constitutionnels.
L’absence de travaux préparatoires de la loi portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques n’aide pas à déterminer la nature des rapports de la Cour qui entrent dans le champ d’application de la disposition 6.7. Cette imprécision ouvre la voie à diverses interprétations dont on peut se demander si elles sont conformes à l’esprit des rédacteurs du point 5.7 de l’Annexe de la Directive n° 1/2009/UEMOA.
En effet, dans la loi sénégalaise, l’exigence de rendre publics les rapports de la Cour relève d’une disposition insérée dans le chapitre « Information du public » alors que dans la Directive n° 1/2009/UEMOA et le Code de Transparence d’autres pays de l’UEMOA, la même disposition est placée dans le chapitre « De la mise en œuvre des recettes et des dépenses » qui renvoie à des rapports publics sur la situation d’exécution budgétaire et à des rapports sur les comptes définitifs à rendre publics avant la présentation du budget suivant.
Pour autant, trois questions peuvent être posées relativement à la mise en œuvre de cette disposition du Code dont l’applicabilité devrait trouver sa solution dans le droit interne.
1) Quels sont les rapports que la Cour produit sur le fondement des textes nationaux ?
Pour trouver une réponse à cette question, nous avons consulté le site internet de la Cour qui, dans la rubrique « Publications/ Rapports », fait ressortir quatre catégories de rapports :
- Le rapport public général annuel à remettre au président de la République et au président de l’Assemblée nationale (articles 8,9, 19, 23, 24 de la loi organique sur la Cour de comptes).
- Le rapport sur le projet de loi de règlement à déposer sur le Bureau du président de l’Assemblée nationale et à transmettre au ministre chargé des Finances. (articles 8 et 19 de la loi organique et articles 7 et 40 du décret d’application de loi organique)[3] .
- Les rapports particuliers qui sont issus d’enquêtes et de contrôles de la Cour, notamment :
- les rapports d’enquête complémentaire qui pourrait lui être demandée par l’Assemblée nationale à l’occasion de l’examen ou du vote du projet de loi de règlement (article 30 de la loi organique) ;
- les rapports sur les comptes et le contrôle de la gestion des organismes publics en particulier les entreprises du secteur parapublic (article 48 du décret d’application).
- Les rapports thématiques : aucun rapport de cette catégorie n’est publié sur le site internet de la Cour.
À ces quatre catégories de rapports, s’ajoutent les rapports prévus par la loi organique relative aux lois de finances en son article 71, à savoir :
- Les rapports établis à la suite de la réalisation d’enquêtes nécessaires à l’information de l’Assemblée nationale ;
- Les rapports sur le contrôle des résultats des programmes et l’évaluation de l’efficacité, l’économie et l’efficience desdits programmes.
Il importe de préciser que ces différents rapports se distinguent des documents non publics notamment les référés ([4].
Au final, il semble que tous les rapports de la Cour sont transmis à au moins l’un de ces trois pouvoirs publics qu’elle est chargée d’assister conformément à l’article 68 de la Constitution.
Tous les rapports de la Cour sont-ils publics ?
Nous répondons sans hésiter par la négative. À notre sens, le point 6.7 de l’annexe du Code renvoie aux « rapports publics » de la Cour suivant le sens qu’en donne Pierre Lalumière : « La Cour peut porter à la connaissance de l’opinion publique les résultats de ses investigations : c’est le procédé du rapport public [5]».
Notre position sur cette question est confortée par le fait que, s’agissant du rapport sur la force Covid-19, la Cour précise dans la partie « Avertissement » au dernier paragraphe de la page 3 : « Ce rapport définitif est strictement confidentiel et ne saurait être communiqué à des destinataires autres que ceux choisis par la Cour des comptes » (nous mettons en gras et soulignons).
3) Sur quelle base juridique, le rapport sur la force Covid-19 a-t-il été qualifié « confidentiel » ?
Si la base est légale ou règlementaire, il nous est d’avis que la Cour est liée. Seul un texte juridique de même portée peut déclassifier le rapport et permettre à la Cour de le rendre public ; à moins que la juridiction financière ait reçu une habilitation juridique à choisir, discrétionnairement, les rapports qu’elle peut rendre publics. Sauf à être mieux informé sur les bases juridiques sur lesquelles elle s’est fondée, l’absence d’une habilitation expresse nous semble être une interdiction faite à la Cour de publier ledit rapport.
Au Togo, la Cour des comptes n’aurait pas pris cette liberté parce que le législateur a pris la précaution de préciser que la publication des rapports transmis au président de la République, au Parlement et au gouvernement a lieu après leur avis et dans le respect des secrets protégés par la loi » (article 48 de la loi n° 2021-25 du 1er décembre 2021 portant organisation, attributions et fonctionnement de la Cour des comptes et des Cours régionales des comptes).
En résumé, la rédaction laconique de la disposition du point 6.7 de l’Annexe du Code est à l’origine de son interprétation extensive, voire permissive, par la Cour des comptes.
Les rapports considérés comme confidentiels, sauf déclassement, devraient être exclus du périmètre d’application du point 6.7 de l’Annexe.
Il est suggéré la prise d’un décret d’application du Code de transparence relatif à l’accès et à la publication de certains documents portant sur la gestion des finances publiques. On pourrait s’inspirer du décret malien n° 2014-66007/P-RM du 13 août 2014 en vue de définir avec précision la notion d’informations et documents administratifs relatifs aux finances publiques et les conditions de leur publication et d’accès [6].
La question de l’organisation et du suivi des recommandations à destination du ministre de la Justice
La disposition 6.7 de l’annexe précise qu’un suivi des recommandations de la Cour des comptes est organisé et « les résultats de ce suivi sont régulièrement portés à la connaissance du public ».
Si dans son principe, cette disposition répond à l’exigence de transparence, elle n’est pas sans soulever des problèmes relatifs à son périmètre d’application. Devrait-on l’appliquer à des recommandations à destination du ministre de la Justice ? Sans doute non. On peut penser que, dans l’esprit des rédacteurs du paragraphe 5.7 de l’Annexe de la Directive n° 1/2009/UEMOA, les recommandations dont il est question dans cette phrase viseraient celles consignées dans les rapports publics sur l’exécution des lois de finances et non celles portant sur des faits susceptibles d’être qualifiés d’infractions pénales.
Concernant les recommandations au ministre de la Justice, il nous semble inapproprié de rendre publics les noms des personnes concernées d’abord parce que leur publication pourrait être considérée comme une violation de la présomption d’innocence et ensuite elle porterait atteinte à la protection de la confidentialité ou de la vie privée. Il conviendrait, à notre avis, de rendre anonymes de telles recommandations d’autant plus que la Cour dispose du référé pour saisir directement le Garde des Sceaux. En effet, selon l’article 79 de la loi organique sur la Cour des comptes, « si l’instruction ou la délibération sur l’affaire laisse apparaître des faits susceptibles de constituer un délit ou un crime, le Premier président de la Cour saisit, par référé, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et en informe le ministre chargé des Finances ». (Voir également l’article 30 alinéa 2 du décret d’application de la loi organique).
Au final, on se demande s’il est utile de détailler les recommandations en direction du Garde des Sceaux puisque, comme indiqué à la page 3 du rapport, « les faits relatés … présumés constitutifs de fautes de gestion ou d’infractions pénales ont fait l’objet, selon les cas, de projets de déférés ou de référés soumis aux autorités compétentes conformément aux règles et procédures prévues par la loi organique n°2012-23 du 27 décembre 2012 sur la Cour des comptes »,
Une dernière interrogation qui n’est pas sans intérêt : ne faudrait-il pas revoir la compétence donnée au premier président de la Cour des comptes par l’article 79 de la loi organique au regard des attributions du Procureur général qui exerce les fonctions de ministère public au sein de la Cour des comptes (article 12 loi organiques) ? Nous pensons que le ministère public devrait être l’intermédiaire exclusif entre la juridiction des comptes et les autorités judiciaires et, à ce titre, les informations et signalements de faits susceptibles de nature à motiver l’ouverture d’une action pénale devraient faire l’objet d’une seule saisine par le Procureur général près la Cour des comptes.
Enfin, il est important de définir le cadre légal/règlementaire des communications entre la Cour des comptes et les autorités judiciaires. À cet effet, un texte est à prendre pour préciser les modalités de transmission et de suivi des informations ou signalements entre la juridiction financière et les autorités judiciaires ainsi que les pièces communicables.
[1] Loi n° 2012-22 du 27 décembre 2012
[2] Cette disposition est une reprise du point 5.7 de l’annexe de la Directive n° 1/2009/UEMOA
[3] L’article 7 du décret d’application mentionne un rapport sur l’exécution des lois de finances et non un rapport sur le projet de loi de règlement.
[4] Il s’agit des « lettres officielles du Premier président de la Cour adressées à un ministre pour l’informer de l’existence d’une série d’irrégularités graves ou de pratiques défectueuses dans le fonctionnement financier de ses services, qui appellent une remise en ordre de sa part”, selon Pierre Lalumière dans « Les finances publiques », Armand Colin, 1983, 8éme édition 1986, p.478.
[5] Pierre Lalumière précité, p.480.
[6] Le décret porte sur les modalités d’accès aux informations et documents administratifs relatifs à la gestion des finances publiques et de leur publication.