SIKILO, SAKAL, MARQUEURS SANGLANTS DE MAL-GOUVERNANCE
Il est difficile d’admettre que la série noire d’accidents de la circulation, que nous vivons dans notre pays, depuis plusieurs années et qui a connu une exacerbation ce mois de janvier, soit uniquement le fait d’apprentis désinvoltes, de chauffeurs sous-payés et de transporteurs cupides. Elle est plutôt un exemple supplémentaire des nombreux dysfonctionnements dans la conception et la mise en œuvre par nos décideurs gouvernementaux de politiques publiques dans divers secteurs comme la Santé, l’Éducation, l’assainissement, le secteur primaire …
Précipitation et amateurisme
C’est bien pourquoi, il est illusoire de croire que le conseil interministériel précipité du 9 janvier dernier puisse épuiser la problématique de la sécurité routière dans notre pays. Bien au contraire, les mesures, qui y ont été annoncées, deux jours seulement après le terrible accident de Sikilo, outre qu’elles sentent le réchauffé, sont assez édifiantes sur l’amateurisme d’un gouvernement qui a toujours privilégié les effets d’annonce spectaculaires à une analyse concrète et approfondie de la situation pour pouvoir déboucher sur des solutions durables et structurelles.
Il faut certes, reconnaître les efforts sur le plan des infrastructures routières, qui remontent à 1990, année au cours de laquelle fut adoptée la première lettre de politique sectorielle des transports, qui va déboucher sur le programme d’ajustement sectoriel des transports (PAST), suivi par le projet sectoriel des transports (PST2), entré en vigueur en 2000. Ce dernier va mettre en œuvre un programme de construction des routes neuves, qui va privilégier les grands axes et les voies conduisant vers les pays limitrophes, en insistant sur la réhabilitation et l’entretien périodique, en vue d’améliorer la qualité routes et éviter les réparations fréquentes et prématurées.
Néanmoins, le conseil interministériel, pour avoir occulté les causes profondes de la crise du secteur du transport, n’a fait qu’enfoncer des portes ouvertes. Plusieurs mesures constituent des redondances et des redites comme le port obligatoire du casque pour les « deux roues », le passage des véhicules au contrôle technique, la mise en place de fourrières, la délivrance de certificats médicaux…
On note également un manque de vigilance des autorités en charge du transport, qui ont fait preuve de permissivité, en fermant les yeux sur les transformations des véhicules (porte-bagages, places supplémentaires…) pour pouvoir transporter plus de passagers et plus de bagages. Pourtant ces pratiques sont intrinsèquement liées à l’histoire du transport dans notre pays.
Le relèvement de l’âge d’obtention de permis pour conduire des véhicules de transport interurbain de personnes et de marchandises, le plombage des compteurs de vitesse des véhicules de transport et l’interdiction de circuler à certaines heures de la nuit sont des mesures, qui en plus d’être discriminatoires, semblent infantiliser les acteurs du secteur transport par rapport aux autres citoyens.
D’autres mesures annoncées en grande pompe sont plutôt révélatrices des carences et manquements du gouvernement actuel et de ceux qui l’ont précédé, incapables de simplement faire respecter la loi. De fait, le contrôle du respect des codes de la route et du travail semble être, pour nos autorités, une tâche insurmontable essentiellement à cause du clientélisme politicien et de la corruption routière.
Mal-gouvernance et autoritarisme
On ne peut s’empêcher de sourire, quand on voit que la première mesure pour résoudre la problématique de la sécurité routière consiste à mettre en place une structure autonome multisectorielle, dirigée par un officier supérieur, chargée de l’application rigoureuse des dispositions du code de la route.
Il est vrai que depuis 2012, la Justice et les forces de sécurité sont instrumentalisées dans tous les domaines de la gouvernance despotique en cours, là où des initiatives de concertations auraient été mieux indiquées.
Pour autant, les autorités politiques de notre pays, pourtant responsables de la conception et de la mise en œuvre des politiques publiques, continuent à promouvoir un traitement médiatique déséquilibré de ces douloureux événements phare de l’actualité nationale, en se défaussant sur des lampistes.
Mais le congédiement du ministre en charge de la Santé, après l’épouvantable drame dans l’EPS Abdoul Aziz Sy de Tivaouane avait ouvert les yeux au peuple sénégalais. Il était d’autant plus justifié, comme le sont les appels au limogeage de l’actuel ministre des Transports, que la plupart des catastrophes qui rythment la vie publique découlent de l’imprévoyance et de l’absence de discernement de nos autorités gouvernementales ou alors carrément d’une malhonnêteté notoire, dont on a pu avoir un aperçu, à travers le récent rapport de la Cour des comptes sur la gestion des fonds Covid-19, pour ne citer que l’exemple le plus récent.
Il faut dire que, dans notre pays, les hommes politiques privilégiés bénéficiant de décrets présidentiels de nomination en Conseil des ministres, sont évalués, non pas sur la base des politiques publiques qu’ils mettent en œuvre, mais sur leurs performances politiciennes. Pas étonnant dès lors que le silence sur leurs activités en marge de la légalité leur soit garanti, grâce à une puissante cuirasse d’impunité contrastant avec l’extrême vulnérabilité des activistes et hommes politiques de l’Opposition. C’est pour toutes ces raisons que nos décideurs doivent rompre avec leur style de management directif et autoritaire et mener des concertations fructueuses avec les partenaires sociaux.
C’est, en effet, la seule voie pour une mise en œuvre optimale des politiques publiques, en particulier celles ayant trait au transport routier, devant se traduire par une diminution graduelle des accidents meurtriers sur nos routes et une paix sociale durable au niveau de ce secteur névralgique.