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LES PROFESSEURS DE DROIT ET… LE DROIT !

Nous faisons partie de la catégorie très large des enseignants. Catégorie dont les membres sont, en principe, assis entre deux chaises du point de vue statut. Un statut hybride qui certes fait de nous des agents de la fonction publique mais, des agents particuliers car, bénéficiant d’une certaine liberté dans l’exercice de notre travail. Cette liberté est encore plus grande à l’Université qui, par excellence, est un milieu propice à l’expression plurielle du fait que la cible des enseignements est supposée suffisamment mature. D’ailleurs, les libertés académiques y garantissent en plus un vaste espace de libre expression.

Exemple dans les facultés de droit françaises, partie intégrante des universités : les historiens nous apprennent que dans ces espaces, les Professeurs de droit se sont débarrassés de toute inspection hiérarchique dès la fin du 19ème siècle consacrant en même temps leur indépendance au regard de toute tutelle et donc, leur liberté d’expression. Malgré tout, j’avoue une très grande perplexité quand je vois actuellement les appels récurrents à des normes et standards supposés garantir une certaine « qualité » surtout dans les pays en Afrique au sud du Sahara.

Je me demande si, au nom de cette « qualité », on n’assistera pas à l’introduction de manière pernicieuse d’une sorte d’uniformisation généralisée du contenu des enseignements dans les universités qui sont, par essence, des espaces de liberté ? Attention, loin de moi l’idée de soutenir que les professeurs d’université possèdent la liberté de dire n’importe quoi, n’importe où, sans avoir à en rendre compte car, les Professeurs de droit et de manière générale, les Universitaires ne peuvent pas posséder plus de droits que les autres citoyens.

Ceci dit, l’exercice de nos libertés de professeur ne peut pas être univoque car nous disposons de deux auditoires. Le premier, cœur de notre métier, reçoit notre savoir essentiellement par la transmission de connaissances, ce sont les étudiants. Le second est celui de la société dans laquelle nous vivons en qualité de citoyen, celui de l’espace public dans lequel nous vivons, nous y sommes légitimes à participer aux débats sauf …, autocensure que certains expliquent par une certaine éthique.

En conséquence, loin de tout paradoxe, la posture équivoque me semble de l’essence de la pratique du droit par le Professeur. D’ailleurs, un des ténors de la pensée juridique française, Jean Carbonnier, conscient de l’équivocité suggère, dans la préface de l’ouvrage-hommage à un autre monument, le regretté Michel Jeantin, « Prospectives du droit économique », d’user de nos libertés, dans le sillage de plusieurs générations de Professeurs, comme d’une coutume en deux parties (le sempiternel plan en deux parties supposée la panacée pour les juristes).

Dans l’amphithéâtre : dire le « droit utile ». Donner aux apprenants un état du droit actuel car, il s’agit d’un devoir de conscience professionnelle envers les étudiants. Même ici, dans la tradition de la présentation écrite des devoirs de droit, l’approche peut se décliner en deux sous- parties : soit l’exégèse désincarnée de ce que j’appelle le « positivisme descriptif » ; soit la méthode d’approche du droit économique, baptisée « analyse substantielle » de l’École de Nice.

Dans la première partie, c’est le technicisme, considéré comme le « vrai » droit, et on laisse à distance raisonnable, des disciplines fondamentales mais jugées susceptibles d’introduire du « subversif » dans la pensée juridique, en particulier l’économie politique. Ces disciplines, on les évoque en général dans les introductions des cours ou des ouvrages. En tout état de cause, même dans l’amphi, rien ne s’oppose à un certain dépassement de fonctions car, l’exposé du droit doit pouvoir être nourri par l’expérience du Professeur et par ses réflexions ou sa recherche, pour éviter d’en appauvrir la substance. On est en effet, enseignant et chercheur…

– En dehors de l’amphithéâtre : professer le « droit juste ». C’est le droit tel qu’on croit qu’il aurait dû être. Oui, parce que les Professeurs de droit sont aussi des hommes et des femmes avec des convictions et croyances. Donc, rien ne s’oppose à ce que nous agissons de manière critique à l’endroit du droit positif. Nous sommes bien membres de la doctrine. Attention, ici, on est dans le champ de l’opinion qu’il ne faut surtout pas confondre avec la conviction. Ce sera pluriel et donc très relatif parce que dépendant des croyances et valeurs que défend l’auteur du discours. Ce sera aussi sujet à contestation même par les étudiants et cela, sans immunité aucune pour le professeur !

Malheureusement, les évolutions récentes du débat dans l’espace public de nos différents pays sont plus dans la condamnation réciproque des idées et opinions des uns et des autres que dans l’esprit de controverse. Chaque opinion campe dans son camp et prétend détenir la « vérité », une vérité qui souvent donne l’impression de sortir d’une sorte de « fast-food, prêt à penser de la réflexion ».

Pour conclure, je crois qu’en qualité de Professeur nous possédons certes une pleine indépendance, une entière liberté d’expression, mais cette liberté, une éthique très personnelle devra nous la faire réserver pour le dehors.

Aussi, qu’on le veuille ou non, je crois que, dans les pays de démocratie représentative d’aujourd’hui, il est presque vain de dresser des barricades à la production d’une théorie critique du droit. En conséquence, sans prétendre donner une direction à suivre, je me demande quand même si une des tâches les plus urgentes de la doctrine juridique africaine contemporaine n’est pas de contribuer à la nécessaire transformation de l’enseignement du droit en diffusant un savoir critique jusque dans les universités (même si c’est en dehors des amphis) mais aussi en travaillant à des innovations pédagogiques.

Ce genre de débat est malheureusement quasi inexistant en Afrique où les facultés de droit dans leur ensemble, se veulent pluralistes mais pas trop. Désolé mais, nous avons, sur le continent au sud du Sahara, reproduit de manière servile un système d’enseignement du droit sans en « bouleverser ni le fond, ni la forme, tant on a intégré le positivisme et le technicisme comme unique étalon de valeur ». D’ailleurs, parlant de certains profs de droit et de leurs méthodologies juridiques, un juriste critique, notre collègue René Charvin, a pu écrire : « Carbonnier dans Flexible droit qu’ils avaient (peut-être) lu ne les a guère marqués : ils n’aimaient, comme leurs devanciers, ni la sociologie ni l’évolution… Encore moins sans doute les rapports de force, ceux de la société économique, qui sont pourtant au cœur de l’ensemble des normes » (Voir à ce propos notre ouvrage « Les groupes de sociétés en Afrique. Droit pouvoir et dépendance économique ». Karthala /Cres, 2010).

C’est la raison pour laquelle, il est important de s’interroger en toute objectivité sur la pertinence pédagogique d’une certaine conception de la pensée juridique et de son enseignement et ceci, dans le respect, dans la sérénité et surtout, sans se réfugier derrière des postures d’autorité (très peu scientifiques à mon avis) que nous, universitaires, affectionnons et entretenons à merveille.

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